Forêt d’Amazonie : rencontre entre Villa-Lobos et Salgado à la Philharmonie de Paris
« Forêt d’Amazonie » est le concert de clôture du week-end dédié à la forêt amazonienne à la Philharmonie de Paris, concert associant la musique d’Heitor Villa-Lobos aux photographies de Sebastiao Salgado, poursuivant ainsi le dialogue entre ces deux expressions artistiques proposé dans l’exposition « Salgado Amazônia » (où les visiteurs déambulent dans une forêt de photographies qu’accompagne la bande son créée par Jean-Michel Jarre). Ce lien de la musique avec l’image est également à l’origine de la composition A Floresta do Amazonas (la forêt d’Amazonie), Villa-Lobos écrivant cette grande cantate pour illustrer le film Green Mansions.
Cette idée d’association revient à la cheffe d’orchestre italo-brésilienne Simone Menezes, désirant faire connaitre « la beauté des photographies de Salgado et la grandeur de l’œuvre de Villa-Lobos ». Fascinée depuis longtemps par la pièce du compositeur brésilien, elle en a sélectionné quelques extraits, les soumettant au photographe qui, après de multiples écoutes, a conçu une séquence photographique pour chaque mouvement musical. Le résultat a la dimension prodigieuse des deux expressions artistiques se sublimant mutuellement. La démarche créatrice des deux artistes allie en permanence la musique et l’image, et ils portent dans leurs œuvres leur pays natal, le Brésil, sa forêt luxuriante, ses pluies, ses fleuves, ses animaux et ses populations.
Salgado déclare ainsi lors d’une conférence intitulée "la musique de mes photographies" qui précède le concert : « La musique est la plus grande compagne de ma vie. [...] Je photographie en chantant ». Villa-Lobos s’exprime, de son côté et dans une certaine résonance, sur sa musique évocatrice et foisonnante en ces termes : « Dans ma musique je laisse chanter les rivières et les mers de ce grand Brésil. Je ne cherche pas à étouffer l’exubérance tropicale de nos forêts et de nos cieux, que je transporte instinctivement dans tout ce que j’écris ». Leur rencontre artistique est une telle évidence que, bien qu’antérieure à ses clichés, Salgado pense que Villa-Lobos a composé A Floresta do Amazonas pour ses images.
En contrepoint des photographies en noir et blanc, l’orchestre se présente dans un effectif important enrichi des couleurs du piano, du célesta, de la guitare et faisant une part belle aux percussions. En première partie, il intervient seul (sans projection) dans le Prelúdio de la Bachiana brasileira n°4 de Villa-Lobos suivi de Metamorphosis 1 extrait d'Aguas da Amazonia de Philip Glass. Dès les premières notes, la cheffe impose une densité sonore impressionnante, le phrasé et la pâte des cordes se déroulant en un flux continu, tel le flux des immenses fleuves de l’Amazonie. Le Prelúdio apparaît alors comme un hymne douloureux faisant écho aux propos de Salgado alertant sur les menaces de destruction qui pèsent sur cette forêt considérée comme le poumon de la terre. D’écriture plus légère et variée, la pièce de Philip Glass invite à un voyage en bateau sur le fleuve. L’orchestre tente de traduire les sonorités particulières des instruments pour lesquels cette pièce a été écrite (à l’origine composée pour le groupe brésilien Uakti jouant sur des instruments qu’ils construisent eux-mêmes). Sous l’impulsion de la cheffe, il fait entendre toutes sortes d’oiseaux, la pluie et les rythmes des tambours ancestraux, tout en conservant une épaisseur du matériau sonore que seul le cri de soulagement final des instrumentistes vient stopper.
La soprano brésilienne Camila Titinger se joint à l’orchestre pour interpréter les trois chants d'A floresta do Amazonas. Ses premières vocalises, sa gestique ainsi que son costume (vêtue d’une robe en tulle et coiffée d’un diadème brillant) évoquent le personnage mythique de Rima, fille-oiseau qui découvre que grâce à son chant elle peut communiquer avec les oiseaux. Elle émeut dans « Cançao de amor » montrant une grande sensibilité et un phrasé bien conduit. Accompagnée par la guitare, son chant se teinte de nuances délicates et de suspensions touchantes offrant un moment précieux d’intimité. Son lyrisme et ses aigus projetés permettent une présence assumée dans « Melodia sentimental », cependant, l’orchestre la couvre souvent lorsqu’elle atteint le médium et le grave, et elle ne peut lutter contre la masse sonore du finale, sa vocalise se perdant dans les décibels de l’orchestre.
Salgado a organisé ses photos en séquences correspondant aux diverses parties de l’œuvre dans une adéquation étonnante. Les vues du ciel de la forêt accompagnent la musique généreuse d'A floresta et Conspiração e Dança Guerreira (conspiration et danse de la guerre) mettant en valeur les portraits d’hommes en habits d’apparat. La musique est si évocatrice qu'elle semble presque faire surgir de l’écran les groupes d’hommes courant pour la chasse. Les femmes apparaissent sur le chant d’amour offrant un crescendo d’émotion.
Le public acclame debout les artistes de cette soirée au succès éclatant. Chacun emporte un morceau de l’esprit de l’Amazonie, « ce trésor de l’humanité qui doit être protégé ».