La Folle Soirée de l’Opéra : cocktail de virtuosité et d’émotion au TCE
“La Folle Soirée de l’Opéra, les plus beaux airs” est le récent opus d’une série de concerts organisés par Radio Classique, traditionnellement dédiés à un compositeur spécifique. Placée sous le signe des retrouvailles lyriques, la représentation est animée par Jean-Michel Dhuez qui livre histoires et anecdotes autour des pièces musicales. Les mélomanes comme les néophytes sont ainsi conviés à découvrir, reconnaître et apprécier les morceaux choisis, issus de répertoires bien connus, qui, en majorité, dépeignent les facettes des émois et déboires amoureux.
Un quatuor de chanteurs français et les musiciens de l’Orchestre National d’Ile-de-France emportent l'auditoire dans cette folle après-midi, sous la direction de Victorien Vanoosten.
Taquin et joueur, le baryton Florian Sempey fait preuve d’une diction limpide en italien comme en allemand, compréhensible autant par la prononciation que dans les intentions spécifiques de chaque mot. Cette transparence du texte est créée par l’alliage d’un chant très rythmique, particulièrement porté sur les consonnes, et d’un jeu goguenard, en connivence avec l’orchestre et le public, qui sied à Papageno et Figaro. Il complète l’étendue de ses talents vocaux dans le “Largo al factotum”, son tube extrait du Barbier de Séville (Rossini), où son timbre caverneux relève le défi de la rapidité sans perdre la précision de prononciation et d’expression. Les aigus sont libérés avec une puissance assurée, donnant au public -et au chanteur- une satisfaction d’écoute et un plaisir vocal immenses.
Le duo qu’il interprète avec Marie Perbost, “Bei Männern, welche Liebe fühlen”, issu de La Flûte enchantée de Mozart, est le bijou charmant de ce concert : les deux chanteurs possèdent une alchimie touchante, liés par un phrasé et un legato délicats conduits, non seulement par les voix, mais aussi par les échanges de regards. À l’instar de son partenaire, Marie Perbost possède une excellente diction (en français comme en tchèque), soutenue par un phrasé qui donne un véritable mouvement au langage et à la musique. Elle incarne une Marguerite à la fois attendrissante et sensuelle dans son éveil à l’amour, avec une subtilité de nuances et une maîtrise du legato qui rendent émouvants les passages contemplatifs. Sa voix est homogène dans toute sa tessiture et délivre des aigus brillants et vainqueurs dans son Chant à la lune (Rusalka, Dvorak).
Nora Gubisch se distingue par l’ampleur et la chaleur de son timbre ainsi que des tenues de notes guidées par l’émotion du texte. Si sa Dalila semble en difficulté par un excès de rondeur qui contrefait l’émission des voyelles, l’air de la griserie de La Périchole (Offenbach) la désinhibe et elle offre un bel équilibre entre un chant legato sans rupture de timbre et un jeu espiègle qui intègre chuchotements et rires à la musique.
La voix brillante de Julien Dran complète le plateau vocal, se lançant avec aisance à la conquête des morceaux de bravoure. Très attendu sur les contre-uts pour “Ah mes amis!” (La Fille du Régiment, Donizetti), il en rajoute même un dixième dans l’élan final, au grand ravissement d’un public friand de ces démonstrations de prouesse. Si le registre aigu est bien affirmé, la voix tend toutefois à se resserrer dans les montées, donnant parfois une qualité nasale au timbre, là où le medium est plus riche et suave. Sa virtuosité passe aussi dans sa maîtrise du souffle qui crée de beaux decrescendi et piani finaux, sans perte vocale.
L’Orchestre National d’Ile-de-France et son chef Victorien Vanoosten, qui fait ses débuts au Théâtre des Champs-Elysées, ne sont pas en reste. Le placement de l’orchestre sur scène, et non dans une fosse, distingue les pupitres et notamment les cuivres dans l’ouverture de Carmen (Bizet) ou encore les émouvants jeux entre cordes solistes dans l’Intermezzo de Manon Lescaut (Puccini). La proximité entre chanteurs, chef et orchestre permet une grande écoute mutuelle, bien que les forte déséquilibrent l’ensemble et couvrent les voix. Le programme choisi pour l’orchestre est constitué de pièces très évocatrices, contenant l’histoire de l’opéra dans leur musique, et le chef se fait le narrateur de ses instrumentistes-personnages. L'ouverture de La Force du Destin (Verdi) est particulièrement impressionnante par la maîtrise des nuances, orchestre et chef habitant forte et piani, jusqu’aux silences où le public absorbé se retient de tout bruit.
De l’excellence musicale naît l’écoute attentive du public et aux sourires épanouis des artistes répondent les applaudissements passionnés des spectateurs, comblés par cette folle soirée d’opéra.