Piano(s), Beethoven et Wagner en Miroirs étendus au Festival lillois
Le "Lille Piano(s) Festival" mérite assurément que son pluriel sorte de sa parenthèse, à l'image de cet événement qui sort des cadres pour mieux inviter le public à rentrer dans les salles de concerts sous toutes ses formes et architectures. Le "Lille Piano(s) Festival" pourrait tout aussi bien être nommé le "Hauts-de-France Claviers Festival" tant il montre l'instrument à touches dans toutes ses formes et styles : près d'une quarantaine de concerts en un week-end mettent aussi bien à l'honneur le piano à queue concertiste (en soliste, à deux mains ou deux pianos -ou davantage) en format chambriste ou avec grand orchestre, son aîné le clavecin, son puîné le clavier électronique, invitant des artistes de toute la région (et au-delà) pour des musiques classiques, jazz, rap, etc.
Ôlyrix a ainsi pu couvrir trois concerts lyriques en 26 heures, dans trois lieux avec trois effectifs et trois répertoires tous aussi riches et variés.
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La bonbonnière néo-classique qu'est l'Auditorium du Conservatoire de Lille accueille elle aussi un programme riche et redoutable, le piano romantique prolongé par le clavier numérique dialoguant avec l'orchestre de chambre et la voix lyrique pour le Triple Concerto de Beethoven et les Wesendonck Lieder de Wagner.
Les musiciens de l'Ensemble lillois Miroirs Étendus très engagés font corps avec les trois solistes et les soutiennent ainsi dans les tourments d'une virtuosité encore au-delà de leur niveau. Les sons perdent notamment leur matière à mesure que le tempo accélère, mais la rudesse du jeu donne aussi du caractère à l'ensemble, et surtout, les phrases reprennent corps dans les ralentis mélancoliques. De petits motifs se transmettent également entre les trois solistes dans les passages intermédiaires, avec fougue au violoncelle de Michèle Pierre, précision au violon de Fiona Monbet et clarté au piano de Romain Louveau.
L'ambition est également encore bien trop grande pour la seconde œuvre au programme, qui en est un deuxième sommet, vocal celui-ci : les Wesendonck Lieder. La violoniste Fiona Monbet range son instrument pour diriger à mains nues avec précision et application mais obtenant un résultat parfois flou et précipité. L'orchestre de chambre n'impose pas à la chanteuse les mêmes exigences que l'orchestre symphonique wagnérien, et l'acoustique fait avantageusement tourner le placement vocal, mais la prestation de la soprano Cyrielle Ndjiki Nya n'en reste pas moins "regrettable" : dans le sens "qui peut nourrir des regrets". La tessiture opulente se présente en effet dans son plein potentiel, avec un riche ambitus et des identités de couleurs vocales sculptées, notamment par une articulation modèle de l'allemand (d'autant plus appréciable que le concert offre un sur-titrage allemand-français). Mais la chanteuse visiblement stressée et restant collée à sa partition voit sa voix blanchie d'un souffle manquant et détimbré, n'émergeant que par de courts crescendi. La matière charnue revient toutefois s'allier à des aigus vibrionnants, pour elle aussi lorsque le tempo ralentit.
Le concert étant proposé par l'Ensemble Miroirs étendus (qui étend les reflets des sons acoustiques grâce aux moyens de l'électronique), Othman Louati mâtine parfois les timbres avec son clavier tour à tour piano, clavecin, orgue Hammond. Ces effets ne renforcent ni ne perturbent la partition de Wagner et les interprètes, pas plus que les longues tenues d'accord qui soulignent toutefois la richesse harmonique de cette partition et remettent à l'honneur le clavier en ce Festival dédié au piano.