Gala Lyrique au Palais Garnier, des larmes aux rires
Le public a en effet déjà pu retrouver l'Opéra de Paris et ces solistes depuis un mois, pour Tosca à Bastille et Le Soulier de Satin à Garnier, et pourtant, le solo du violoncelle entamant l'Ouverture du Guillaume Tell de Rossini ainsi que ce concert de gala n'en sonne pas moins comme un tendre chant lyrique sortant de la nuit culturelle (des salles fermées si longtemps) et plongeant dans un caractère nocturne, mais délicieux celui-ci, menant vers sa légendaire cavalcade. La reprise en fanfare demande quelque temps aux différents pupitres pour se synchroniser, pour libérer les sautillés des archets et déployer toute la richesse des vents, mais ils y parviennent bientôt sous la direction animée et méthodique de Mark Wigglesworth.
Cette reprise dynamique de l'Orchestre est ainsi à l'image de celle relancée par la maison, comme l'explique le Directeur Alexander Neef en prenant la parole au début de la soirée. Ce concert de Gala est l'occasion de remercier les mécènes qui ont permis la poursuite d'activités pendant le confinement et de ceux qui continueront à la rendre possible, avec notamment un programme de 5.000 places à tarif "très privilégié" pour les soignants la saison prochaine et une priorité de réservations pour La Bayadère d'avril 2022 accueillant des familles venant pour la première fois à l'Opéra. Les soignants qui étaient à l'honneur le 14 juillet dernier, le seront à nouveau lors de la prochaine matinée gratuite toujours au Palais Garnier.
En somme, un catalogue de bonnes nouvelles et de nobles intentions qui lance, après la cavalcade de Guillaume Tell, l'air du catalogue de Leporello dans Don Giovanni, grâce au catalogue vocal déployé par Luca Pisaroni. Comme ses collègues, le baryton-basse italien incarne pleinement son personnage, insufflant à cette version de concert les mêmes qualités d'engagement qu'un opéra mis en scène (devant l'orchestre au plateau). Luca Pisaroni déploie l'étendue de son jeu et de ses phrasés, d'autant que l'Orchestre et le chef ont l'intelligence raffinée de lui accorder toutes les largesses rythmiques par lesquelles il vante toutes les largesses sensuelles accordées à son séducteur de patron. Chaque mot est ainsi joué et illustré, jusqu'au bord de basculer dans le sur-jeu mais sans en fait prendre ce risque tant les moyens vocaux soutiennent les exubérances. Le grave tonnant et intense assure la dimension sonore de tout l'ambitus, même bouche fermée.
Ludovic Tézier offre en soliste une nouvelle et double démonstration, de noblesse et de puissance en italien et en allemand ("Urna fatale" de La forza del destino et "O du mein holder Abendstern" du Tannhäuser de Wagner). Le volume colossal d'un souffle épique déploie une infinie tendresse, nourrissant l'épaisseur et la longueur démesurée des phrasés. Le baryton français reste même en bord de scène tandis que Luca Pisaroni s'amuse et vient donc le chercher pour l'enlacer et lui susurrer "Devant la maison de celui qui t'adore" (La Damnation de Faust). La complicité lance ainsi un duo d'anthologie entre eux, avec "Cheti, cheti, immantinente" (Don Pasquale) articulé à toute vitesse et animé de gestes symétriques désopilants.
Maria Agresta plonge d'emblée et à l'inverse dans le grand dramatisme de "Sola, perduta, abbandonata" (Manon Lescaut). À peine entrée sur scène qu'elle projette déjà de grands sanglots faits d'aigus lyriques et poursuit ce parcours dans les profondeurs de sa voix et du désespoir. La matière du chant est large, sauf dans un aigu qui paraitrait plus pointu s'il n'était, comme ici, le sommet de la passion.
Michael Fabiano est plus strict, dans l'attitude scénique et le chant pour "De corsari il fulmine", d'un œil froncé, avec un bras immobile comme s'il voulait transformer Le Corsaire en véritable pirate, s'appuyant ensuite sur le garde-corps du podium d'orchestre comme au gouvernail d'un navire en perdition. La voix impose toutefois son cap, dans un volume ébouriffant et une projection large, rude même en fin de phrase. Le ténor retrouve toutefois les couleurs de la tendresse sans rien perdre de sa puissance avec le personnage de Rodolfo en compagnie de Maria Agresta en Mimi pour le grand duo refermant le premier acte de La Bohème. Leurs médiums aigus particulièrement radieux se marient en couleurs somptueuses, tandis que la soprano impressionne par cette capacité à passer des larmes aux rires avec une voix ample et scintillante.
Les quatre solistes de ce gala sont ainsi répartis en deux duos très contrastés menant vers les rires avec les barytons, vers les larmes avec soprano-ténor. Le public rappelle trois fois les artistes, certainement pour obtenir un bis en quatuor qui ne viendra malheureusement pas (il était sans doute temps de mettre fin au concert, les masques de certains spectateurs et même de deux instrumentistes à cordes ayant déjà glissé sous le nez, et même sous la bouche).