La Force du destin rouvre les portes du Capitole
La partition a en effet été concentrée en semaine à 1h45 de musique, mais Ôlyrix était présent pour la première date, intégrale de cette œuvre (3 heures 10) qui s'émancipe des unités de lieu et de temps par des sauts temporels (des mois ou des années) et entre l'Espagne et l'Italie lors des entractes.
Le plateau de cette version concertante est vide, hormis des sièges déployés en fond de scène, sur la moitié de l’espace, destinés à accueillir la moitié du chœur. Une zone équivalente est ensuite laissée vide (dans le respect des normes sanitaires) puis, la rangée des pupitres espacés accueillant les partitions des solistes dessinent comme une sorte de frise en proscenium. Cette présence des pupitres se justifie car, pour presque tous les artistes il s’agit d’une prise de rôle (a fortiori pour cet opus rarement donné sans coupe).

L’Orchestre national du Capitole est disposé dans la fosse en formation visiblement réduite mais assure ce marathon musical de main de maître sous la direction de Paolo Arrivabeni, déployant toutes les ressources musicales au service de l’action. Toute la variété de la partition est exprimée dès l’ouverture, structurée par les motifs des deux grands airs à venir de Leonora (l’incipit de l’aria Pace et la sublime montée de la romance Me pellegrina ed orfana). Le prologue du troisième acte est également très beau, rappelant par ses mélismes le Dite alla giovine (Traviata) et la phalange toulousaine porte tout autant aux sommets la stase musicale finale (triple piano), figurant la rédemption générale.
Le chœur préparé par Alfonso Caiani, est plein et entier (et chante par cœur). Il entre et sort selon les besoins, se déployant avec ordre dans tout l’espace scénique (centre et fond), au complet, ou sous la forme réduite d’un chœur d’hommes ou de femmes. Les choristes assument aussi bien les parties brèves pour les fonctions habituelles de voix du peuple et de commentaire, mais sont parfois inclus dans l’action, en contrepoint de parties solistes, comme avec Leonora, dans l’aria Madre, pietosa Vergine où les voix d’hommes offrent à la voix soliste un émouvant tapis de prière, ou bien dans l’air conclusif du troisième acte, Rataplan Rataplan, chanté par Preziosilla, avec une section où, a cappella, les femmes seules produisent sur ces onomatopées la structure rythmique sur laquelle se déploie l’aria. La sonorité en tutti sait utiliser toutes les nuances dynamiques.
Malgré l’exercice du concert et les pupitres, certains solistes esquissent aussi une présence physique en phase avec l’action. Cécile Galois, mezzo-soprano, assume ainsi avec justesse et retenue le très petit rôle de Curra, suivante de Leonora, qui énonce des informations utiles à l’exposition.

Barnaby Rea possède une voix de basse, un peu légère (il est parfois couvert quand l’orchestre monte), mais d'un phrasé efficace pour les rôles, eux aussi plus informatifs que porteurs d’action, de l’Alcade et du Chirurgien.

Roberto Covatta, ténor de caractère, met sa voix de format très mesuré (voire petite), claire mais projetée, au service de Trabuco, rôle destiné à produire des moments de divertissement entre les épisodes dramatiques. Il anime ainsi une scène d’auberge et interpole ensuite sur le marché son chant avec celui du chœur.
Raehann Bryce-Davis déploie avec conviction et un abatage réjouissant son mezzo à la voix ample, corsée, étendue, pleine de vitalité, presque luxueuse pour ce rôle tout aussi pleinement incarné et tragicomique de Preziosilla.

Sergio Vitale assure avec brio le rôle de Fra Melitone, religieux caricatural, incarnant toute la morgue et la veulerie du rôle, avec sa voix de baryton, claire et sonore, à la diction parfaite et d'une grande énergie dramatique. Le caractère arbore ainsi puissamment une vision sombre de l’humanité, méprisant, mais qui sert à faire paraître d'autant plus positifs Padre Guardiano, le prêtre miséricordieux et Padre Raffaello (nom sous lequel va se dissimuler Alvaro au couvent).

Roberto Scandiuzzi possède une voix de basse, étendue, projetée, à la diction idéale. Habitué de l’œuvre, il chante par cœur les deux rôles qui lui sont attribués. Le Marquis de Calatrava, tout d’abord : le père de Leonora, auquel il prête la voix héroïque, dure, cassante, qui sied pleinement au rôle (émouvant jusque dans sa malédiction Vil seduttor! infame figlia!). Il incarne ensuite Padre Guardiano, figure de la religion consolatrice et rédemptrice, avec une voix alors chaleureuse, émouvante et pleine d’humanité.
Gezim Myshketa campe avec conviction Carlos, le frère de Leonora, d'une voix de baryton Verdi convaincue, large, d'une pâte sonore ample et lui permettant une incarnation dramatique (quoique la diction soit un peu pâteuse, avec une limite dynamique qui le voit couvert par le fortissimo orchestral et choral). Il interprète avec engagement ce personnage torturé, sa quête de vengeance effrénée où se mêlent les passions, de l'amitié au remord, avec l’amour propre.

Amadi Lagha, qui incarne Don Alvaro, est un ténor à la voix claire et vaillante (spinto), sonore de part en part, pour ce rôle qui sollicite partout la plus grande étendue, de même que toute la gamme dynamique (du triple piano au triple forte) qu'il assure avec facilité. Le timbre solaire est pleinement Italien et se marie à une prononciation modèle du texte. Le rôle est incarné dans la richesse de ses situations expressives, et passions contrastées, assumées de la tendresse à l’expression torturée des passions contradictoires (culpabilité, amitié, compassion, amour propre blessé) dans les deux grandes scènes de duos (duels métaphoriques) avec Don Carlos. L'interprète investit beaucoup d’émotion dans l’unique très bel air (bien que méconnu), O tu che in seno agli angeli, ainsi que dans le remarquable trio final. Sa prestation est saluée par le meilleur accueil du public au salut final.

Leonora est incarnée par Catherine Hunold qui possède une ample voix de soprano dramatique, conduite et aisée. Le timbre est allié à une judicieuse utilisation des registres (poitrine et tête). L’interprétation est globalement convaincue, avec parfois cependant une diction un peu pâteuse, et un engagement en retrait qui aurait probablement gagné à la mise en scène. Le chant touche néanmoins au tragique du personnage, déchiré entre un amour impossible à réaliser et une culpabilité irrémédiable. Surtout, elle assume avec des nuances très expressives les trois "tubes" de l'œuvre, jusqu'au fameux Pace, auquel l'auditeur est préparé depuis le début de la partition par le retour constant du thème musical (comme un leitmotiv à l'italienne) et venant ainsi conclure avec brio cette prestation saluée comme il se doit par le public ravi de retrouver l'opéra.

