Ballet Royal, Nuit fantastique avec la cour au TCE
Le Théâtre des Champs-Élysées livre une grandiose production en recréant avec Sébastien Daucé le Ballet royal de la nuit, grand divertissement en l’honneur du jeune Roi Soleil. L’organiste et claveciniste, chef pour l’occasion, signe donc un travail autant de composition que de reconstitution : le mythique ballet royal a en effet été en grande partie perdu, et Sébastien Daucé a ici choisi de mêler les sources musicales restantes (et notamment un livre d’airs de Jean de Cambefort publié en 1655) à deux opéras italiens, Ercole Amante de Cavalli et l’Orfeo de Luigi Rossi, ainsi qu’à des airs de Boësset. Cet ensemble composite prend alors tout son sens dans l’argument, en quatre veilles et Grand Ballet.
Le Ballet royal de la nuit montre le cheminement des Heures et de la Nuit, du coucher du soleil (Première veille) à son lever (Grand Ballet), en passant par le bal et le Sabbat qui s’y déroulent. Cette ligne narrative est l’occasion de voir tout le personnel de cette nuit, avec ses personnages imaginaires (sorcières, démons) ou mythologiques (déesses en tous genres). Le ballet n’en oublie pas non plus son aspect de divertissement royal, en multipliant les effets de perspectives, comme la comédie d’Amphitryon au cours du bal, ou encore le défilé nombreux des coquettes, galantes et bourgeoises, sans en oublier le Roi Louis, dont les apparitions rythment les veilles.
Pour cette création, Francesca Lattuada, qui porte les casquettes de metteuse en scène, chorégraphe, scénographe et costumière, propose un monde à la croisée des pistes qu’offre le livret. L’originalité principale de son interprétation est d’avoir choisi des acrobates-danseurs pour le ballet qui en tire donc une énergie toute poétique, entre inspirations circassiennes et images fantastiques. Avec une scénographie épurée, l’élément mis en avant est donc le corps, grandiose (La Nuit, Première veille) ou amoindri (espagnolettes), si ce n’est mis en gloire lorsqu’il s’agit de Louis, interprété avec une prestance impressionnante par le danseur Sean Patrick Mombruno. Les costumes eux-mêmes mélangent les styles et les genres, ce qui n’est pas sans rappeler le goût du travestissement lors des bals du Grand Siècle.
La mezzo-soprano Lucile Richardot se distingue dès la première scène par son apparition en Nuit profonde. Elle montre ainsi un beau travail de tenue, ainsi que du timbre tout en rondeur et en velouté, et dont l’intériorité est on ne peut plus fidèle à son rôle. À ses côtés, Violaine Le Chenadec semble alors un peu en retrait, dans une scène difficile pour la voix de soprano. La suite du concert lui permet de montrer ensuite une belle aisance, et elle interprète avec beaucoup de délicatesse l’une des grâces.
Le « Récit de Mnémosyne » permet à la soprano Perrine Devillers, de déployer toute sa puissance (sans lourdeur cependant) et aussi ses ornementations, dont Sébastien Daucé rappelle dans son texte l’importance pour l’interprétation de ces pièces. Les aigus de la soprano trouvent alors des harmoniques intéressantes dans l’ensemble qui suit, structure (soliste puis ensemble à quatre voix) qui se retrouve dans plusieurs pièces, mais qui est ici particulièrement à l’honneur. Ilektra Platiopoulou se distingue elle par une interprétation survoltée de Junon, où elle montre toute sa force de caractère, sans jamais laisser tomber une technique attentive, notamment dans les chromatismes. Dans un autre registre, le jeu presque théâtral de Caroline Weynants en Eurydice dose pleinement le tragique, avec une voix toujours très ronde.
Les ensembles à trois ou quatre voix semblent aussi être le point fort de la production vocale. En ce sens, les passages des grâces sont toujours très délicats et subtils, avec un très bon dosage des voix. Deborah Cachet montre cependant une certaine fantaisie dans ce rôle, caractère qui se retrouve dans la Beauté, malgré une diction un peu plus lâche. Les moments de chœur sont aussi remarqués, dans une justesse qui met particulièrement en valeur les voix de sopranos, sans rompre l’équilibre. D’autant que l’accord à priori délicat est trouvé avec l’orchestre baroque dans la fosse, Sébastien Daucé jouant à la fois le rôle de continuo et de chef pour toute la production.
Dans une partition qui met particulièrement en valeur les voix de femmes, les hommes sont légèrement en retrait, même si l’auditoire peut apprécier la justesse et le jeu mélodieux de David Tricou en Apollon face à Venus. Renaud Bres montre aussi beaucoup de sérieux en jouant un Hercule dynamique et puissant. L’impression vocale vient alors pleinement de Nicolas Brooymans, basse aux harmoniques très mélodieuses, et qui se distingue plusieurs fois très franchement par sa facilité de jeu lors des ornementations, même au milieu d’autres voix. Etienne Bazola (Sommeil), exprime un timbre intéressant, et particulièrement juste musicalement dans le style attendu. Il forme alors un duo envoûtant avec Caroline Dangin-Bardot en Silence, qui échange avec lui par la puissance de l'élégance, sans écraser la ligne mélodique, pour une pièce à l’allure de berceuse qui clôt avec poésie la dernière veille.
Si le spectateur peut regretter l’absence d’un grand ballet dansé final, il n’en apprécie pas moins la qualité de l’engagement de chacun des artistes dans une soirée où chacun est bien plus que leur rôle : les acrobates dansent voire chantent, les chanteurs dansent, comme dans un grand renversement, celui de la Nuit sur le Jour, celui de ce divertissement fou qu’est le Ballet royal de la nuit.