Le déconfinement vaut bien une Messe à Radio France
Le programme de ce concert a été re-composé comme tous ceux de la saison à Radio France pour s'adapter aux contraintes sanitaires (75 minutes maximum, sans entracte), l'Auditorium démontrant une fois encore que les consignes sont respectées dans les salles de concert mieux qu'ailleurs. Le fil rouge du concert est de fait davantage tissé par le plaisir de retrouver la musique bien vivante que par la cohérence du programme. Certes, une thématique russe parcourt les morceaux puisque c'est un poème de Pouchkine qui a inspiré la pièce de Camille Pépin en ouverture, mais le poème et sa mise en musique sont aussi différents que les esthétiques des deux compositeurs suivants au programme : Stravinsky pour l'hommage néoclassique contenu de bois et de voix dans sa Messe, puis la virtuosité expansive du 3ème Concerto pour piano de Rachmaninov.
Le fil rouge est aussi celui du respect des mesures sanitaires. Le chef d'orchestre et les musiciens restent tous masqués comme le public durant tout le concert, à la seule exception des vents (mais les trompettes sont isolées dans les rangées au fond de l'auditorium), à l'exception également des choristes mais uniquement lorsqu'ils chantent et de la pianiste concertiste seulement lorsqu'elle est installée et joue (la soliste entrant masqué et remettant le masque dès la dernière note jouée avant même de se relever pour saluer).
Un tel respect s'avère indispensable pour l'œuvre au c(h)oeur du programme : la Messe de Stravinsky est en effet écrite uniquement pour des musiciens à air soufflé (chœur mixte et double quintette à vent). Cette Messe offre l'occasion de renouer avec le rituel du concert et de rendre hommage à tous les disparus. Un hommage rendu grâce à des voix très complémentaires entre elles : les voix angéliques de la Maîtrise de Radio France (préparée par Sofi Jeannin) déploient leur tendres souplesses et la douceur de leurs timbres sur les chants appuyés du Chœur de Radio France (préparé par Martina Batič), de la psalmodie slave au lyrisme de stentors.
Si les vents manquent leurs attaques synchronisées, ils déploient ensuite leur pâte orchestrale et leur précision, qui serviront respectivement au Concerto de Rachmaninov (avec la soliste Anna Vinnitskaya triomphale de précision et d'intense tendresse dans le phrasé) et la création mondiale commandée par Radio France à Camille Pépin (Avant les clartés de l’aurore, une série de simples descentes impassibles, un procédé répété plusieurs fois à l'identique, marqué de quelque grands crescendi et petites phrases contournées à certains instruments, avec aussi une répétition rythmique -ostinato- littéralement imitée de Steve Reich).
Le triomphe est aussi celui de Mikko Franck qui fête par cette réjouissante occasion son renouvellement tout juste annoncé à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France jusqu'en 2025.