La Dame Blanche de l’Opéra Comique revient place Boieldieu
Si La Dame blanche de François-Adrien Boieldieu est aujourd’hui sortie de la mémoire collective et du répertoire des maisons d’opéra, l’œuvre n’en est pas moins à jamais la première à avoir dépassé les 1.000 représentations dans un théâtre lyrique. Cette nouvelle production marque déjà la 1679ème date ! Lorsqu’il écrit le livret, Eugène Scribe (d’après Walter Scott) est au début de sa carrière, mais il maîtrise déjà la musique des mots et les sous-entendus finement incisifs. Boieldieu est à la fin de la sienne, comparé à Rossini qui vient de s’installer dans le même immeuble, et sait offrir aux interprètes des airs aux lignes longues et virtuoses, mais aussi des ensembles et des chœurs complexes par leur tuilage et séduisants par leurs mélodies et leurs actions dramatiques (la vente aux enchères, par exemple).

La production est confiée à deux jeunes artistes. À la mise en scène, Pauline Bureau (déjà à la tête de Bohème, notre jeunesse en ces murs) propose une vision très littérale de l’œuvre, ayant l’avantage de la clarté : des effets de magie viennent apporter une touche surnaturelle à une histoire finalement rationnelle (les apparitions de la Dame blanche étant expliquées dès le début), les décors d’Emmanuelle Roy se mêlent judicieusement à des vidéos pour créer de manière esthétique des ambiances mystérieuses, les costumes d’Alice Touvet plongent les personnages dans le temps et le lieu du livret (l’Écosse du XVIIIème). Si les parties dialoguées manquent parfois de spontanéité et de naturel, la direction d’acteurs des parties chantées est plus soignée. À la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France, Julien Leroy adapte ses tempi aux ambiances recherchées et imprime des accélérations qui dynamisent la musique mais mettent parfois les chanteurs en difficulté. Les nuances sont très travaillées, soulignant la finesse de l’orchestration et mettant les voix en valeur. Le chœur Les Eléments se montre homogène et parfaitement compréhensible grâce à une diction soignée.
Philippe Talbot campe un Georges Brown simple, espiègle et insouciant, expressif dans le chant, plus emprunté dans le jeu scénique. D’une voix claire, très légèrement vibrée, il dessine une ligne vocale assouplie par une merveille de legato. L’aigu est aisé et chaud, qu’il soit envoyé à pleine voix ou brodé en voix mixte. Elsa Benoit, rare en France car membre de la troupe de l’Opéra d’Etat de Bavière, est une Anna pétillante, à la voix ferme et duveteuse. Son timbre est chatoyant et exalté, son vibrato vif et léger. De son aigu contondant à ses graves ardents, elle navigue avec dextérité, voire pyrotechnie, dans un ambitus large et maîtrisé.

Yann Beuron (Dickson), très à l’aise dans le jeu théâtral, chante sa partie d’un ténor sombre à l’aigu appuyé et vibré, toujours projeté. Sophie Marin-Degor, Jenny effarouchée, expose une voix généreuse et charnue au vibrato prononcé, qu’elle allège dans l’aigu. Jérôme Boutillier se plait à rendre son Gaveston odieux, allant jusqu’à briser sa cravache (ce qui le déconcentre légèrement). Son timbre ombragé, revêche dans le grave, est froid et brillant dans le medium et débordant d'harmoniques dans le registre supérieur de sa tessiture, offrant des aigus rutilants. En Marguerite, Aude Extrémo fait montre d’un mezzo-contralto épais au large vibrato. Son timbre brûlant aux éclats braisés se maintient dans les parties parlées. Le Mac-Irton de Yoann Dubruque martèle un chant martial d’une voix fine et bien assise, au timbre coloré.

En ce jour de grève nationale, la prise de parole des salariés de l’institution précédant le spectacle (qu’ils choisissent de maintenir) est écoutée avec attention (quelques spectateurs isolés manifestant toutefois leur désaccord) : ce sont ces mêmes salariés qui viennent saluer les premiers une fois l’ouvrage achevé. Ils reçoivent, tout comme l’ensemble des artistes, un accueil chaleureux.