Orphée aux Enfers par Charpentier, Nocte Luminis Salle Gaveau
Donnée dans une version de concert, la représentation mobilise des artistes passionnés de musique baroque, instrumentistes comme chanteurs. Lorsqu'Orphée, alias Reinoud van Mechelen fait son entrée sur scène, paré d’un kimono, l’orchestre a déjà donné le ton proprement baroque de la pièce : violes, théorbe, et clavecin se mêlent aux sons des flûtes et des violons. Le haute-contre témoigne tout au long de l’opéra de la maîtrise des nuances et d’une pleine intelligibilité des paroles. Pourtant, la question de l’articulation du texte français constitue une véritable gageure, d’autant que le choix interprétatif de la diction de cet opéra est ancien (tous les sons étant prononcés et certain très différents, le oi devient oué, les eu sont très fermés, entre autres). Cela donne, involontairement pour le public contemporain, un aspect truculent à l’opéra censé être dramatique (bien que l’opéra, inachevé, ne traite pas la fin du mythe). Le haute-contre, fidèle au personnage qu’il tâche à la fois d’incarner vocalement et de représenter scéniquement prend soin de timbrer sa voix sous toutes les volutes que peut adopter sa tessiture. Néanmoins, sa posture demeure un peu crispée et nombreuses sont les attaques en coups de glotte.
Deborah Cachet (soprano ou "dessus" selon la terminologie de l’époque) interprète quant à elle Eurydice avec légèreté et précision. Son chant est soigné, conforme aux canons de l’art baroque. La prestation de Clara Coutouly est aussi claire et son aisance vocale ne fait aucune ombre à la compréhension du texte, le tout rendant compte d’une grande maîtrise articulée. Les voix de Zsuzsi Tóth, de Stefanie True, toutes deux soprano et de Victoria Cassano (bas-dessus) intervenant en ensembles sont aussi évocatrices de la musique baroque et font montre d’une grande justesse et distinction. Lors des canons en duos ou des passages en chœur, aucune voix ne prend le dessus bien que chacune pourrait prétendre à un rôle soliste. L’homogénéité évoque beaucoup de douceur et de sérénité. Cependant, le rythme n’en est jamais pour autant délaissé, de nombreuses croches pointées permettant des rebondissements vocaux tout à fait agréables et dynamisés notamment par le premier violon.
Quant aux voix d’hommes, Lionel Meunier, qui interprète Tantale en sa qualité de basse-taille, fait montre d’un coffre important et d'une chaude couleur vocale renforçant l’expressivité de ses postures. Cyril Costanzo (basse) s’avance de manière plus hiératique sur scène : en effet, il joue le rôle de Pluton. Son interprétation est pleinement tenue, le timbre maintenu dans les notes les plus sombres sans s’altérer, le chant semble sans effort. Le ténor qui incarne Ixion, alias Philippe Froeliger manifeste sa justesse dans une amplitude vocale qui ne déborde pas les contours de son chant. Il soutient ainsi le principe clef de cette pièce, l’harmonie titillée par des mordants dont l’usage est proprement baroque et rappelle l’héritage de Monteverdi. Raphaël Höhn, qui semble un peu sur la réserve scéniquement présente pourtant le géant Titye en gardant une couleur de voix cohérente et bien timbrée, y compris dans ses airs les plus hauts.
Vox Luminis et A Nocte Temporis marient l’évanescence des voix avec une assise instrumentale caressante due au grand nombre de cordes, invitant le public à une écoute méditative mais intense comme l'accueil final pour ce concert-résurrections.