Regards croisés entre Ligeti et Mahler à Strasbourg
Le Concerto pour violon et orchestre de György Ligeti proposé en première partie offre à la supersoliste Charlotte Juillard une exploration poussée à l’extrême de son instrument. La violoniste fait preuve d’une virtuosité à couper le souffle à travers le défi technique des doubles cordes récurrentes, pizzicati rageurs, harmoniques folles, coups d’archets véloces, jusqu’à en faire s’échapper le crin de l’archet. La scordatura (accord de l’instrument qui diffère de l’habituel) récurrente dans l’œuvre fait résonner une musique singulière et entraîne dans son sillage l’ensemble des cordes de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Marko Letonja se met en retrait pour profiter des rappels chaleureux de la violoniste Charlotte Juillard, dont le Chant du Nouvel-An de Bartók.
Le programme se poursuit en restant en Europe centrale avec la Symphonie n°4 de Gustav Mahler, tendre et enjôleuse sur le premier mouvement. Les unissons de flûtes ou de violoncelles s’accordent à exprimer joie et sérénité. Les mesures récurrentes des contrebasses sont exécutées avec souplesse, la harpe se déploie dans ses aigus, alliant grâce et fermeté. Le second mouvement s’apparente à un éveil ensoleillé, sous la battue ample du chef. Le troisième mouvement semble énonciateur des couleurs de la Symphonie n°5, cette fois sur un mode majeur mais avec un rythme similaire par endroits.
La soprano allemande Anna Lucia Richter souffrante, c'est alors l’Autrichienne Genia Kühmeier qui la remplace le temps de la courte intervention vocale finale, le Lied du quatrième et ultime mouvement, Das himmlische Leben (La Vie Céleste). Arrivée sur scène, elle s’imprègne longuement de la musique et déploie dès la première strophe des aigus cristallins.
Transcrivant
le texte, le timbre se pare ensuite de légèreté, avant que l’évocation de
Saint-Pierre ne nimbe la voix de solennité et de douceur. Les
graves ponctuels sont assurés, le vibrato délicat, le passage des
aigus aux mediums exécuté sans difficulté, les accélérations ne
ternissent pas le souffle. En
bonne intelligence avec le texte, le dernier Freuden (la joie)
est solaire, par le timbre et par le visage souriant de la soprano. La technicité redoutable requise par la partition emmène
le chant de Genia Kühmeier dans les hautes sphères, ce qui restreint la
clarté de l’articulation. Le texte du programme aide alors le public à saisir les paroles et les nuances.
Reste que la technicité est bien présente et vaut à la soprano les ovations du public, qui plébiscite autant l’aisance et la maîtrise de l’orchestre que de son chef.