Cendrillon de Massenet enchante les fêtes à l'Opéra de Nancy
« Cendrillon, un art nouveau », peut-on lire dans le programme de salle rédigé par l’Opéra national de Lorraine. C’est justement le courant esthétique de l’Art Nouveau, dont l’École de Nancy a été l'un des plus beaux fleurons, qui est mis en valeur par la mise en scène de David Hermann et de ses comparses. Le décor conçu par Paul Zoller, auquel se superposent des vidéos de façades d’immeubles bourgeois datant du début du XXème siècle, représente ainsi plusieurs intérieurs bourgeois inspirés des élégants volumes et des motifs floraux qui sont tout le prix d’un mouvement esthétique dont l’opéra de Massenet peut effectivement se revendiquer.
Grâce à d’habiles manipulations, les ornements du décor se décomposent en éléments disparates qui finissent par voyager dans les airs, exprimant à la fois toute la magie et la féerie du rêve, mais également la peur et la dimension inquiétante du conte. Certaines scènes, plus réalistes, se situent dans une rue obscure peuplée de tristes créatures de la nuit, sur lesquelles règne une Fée SDF commandant sur ses troupes à l’aide de sa baguette. C’est sur un landau arraché à l’une de ces malheureuses créatures que Cendrillon s’en va au bal, escortée de quelques clochardes de son entourage. Les deux protagonistes du conte, le Prince et la fille « des cendres », représentent ainsi les couches extrêmes d’une société divisée par l’argent, mais dans laquelle de vraies âmes sœurs peuvent encore se reconnaître et se retrouver.
Le message d’amour porté par l’œuvre, s’il peut paraître quelque peu sirupeux dans l’économie de l’opéra, prend tout son sens dans un contexte destiné à réparer la fracture sociale qu’à créée une société injuste et inégale, que semble incarner l’invraisemblable rabibochage que constitue la famille recomposée de Pandolfe et de Madame de la Haltière.
Si la mise en scène assume à plein la composante sentimentale de l’ouvrage de Massenet, quitte à frôler la sensiblerie à l’acte III, elle fait la part belle également à la dimension comique et caricaturale du conte, notamment dans le traitement des demi-sœurs et de la belle-mère de Cendrillon. La chute finale de l’ouvrage, sur les paroles « La pièce est terminée. On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus », dit bien toute l’auto-dérision d’un ouvrage dont on aurait tort de dire qu’il est irrémédiablement daté et dépassé.
Le plateau vocal réuni par l’Opéra national de Lorraine est de la meilleure tenue, des rôles principaux aux comprimarii. Il est dominé par la présence rayonnante en Cendrillon d’Hélène Guilmette, chanteuse à la diction idéale, dont le soprano long et fruité est capable des plus fines nuances et des plus beaux aigus filés qu’il puisse être donné à entendre.
Très convaincue scéniquement dans son rôle de post-ado gâté et blasé, la mezzo-soprano Antoinette Dennefeld travaille non seulement le physique adéquat mais également l’instrument adapté à son rôle de Prince : puissante et joliment colorée, sa voix sait se faire caressante dans les passages les plus tendres. Si la colorature Marlène Assayag possède toutes les notes de la partie de la Fée, ce qui est déjà en soi appréciable, son chant n’a malheureusement pas tout à fait la poésie attendue d’un tel personnage. Il est vrai également que le contexte dans lequel évolue ce dernier reste éminemment prosaïque.
Parmi les « Nouveaux Riches » de l’opéra, le spectateur goûte tout particulièrement l’hilarante Madame de la Haltière de Doris Lamprecht, qui n’hésite pas à tirer toutes les ressources comiques de son instrument dont elle parvient à extirper des graves puissants et vrombissants ainsi que des aigus percutants, tout en évitant de tomber à chaque note dans le piège de la caricature. À l’opposé, Le Pandolfe de Marc Barrard est d’une humanité touchante, l’usure indéniable des moyens venant se faire la métaphore de la situation dramatique traversée par ce personnage émouvant entre tous.
Des deux chipies de sœurs, se détache le soprano frais et sensuel de Judith Fa en Noémie, la Dorothée d’Anne-Sophie Vincent lui donnant la réplique avec verve et musicalité. L’Opéra national de Lorraine manifeste aussi le louable souci de distribuer avec soin les rôles dits secondaires, puisque Jean-Fernand Setti, Christophe Berry, Thibault de Damas et Jean-Christophe Fillol sont tous des artistes valeureux que les auditeurs ont déjà eu l’occasion d’entendre dans des parties plus développées. Chacun excelle dans ses trop courtes interventions.
Dirigés par Jean-Marie Zeitouni, qui menait déjà une très belle interprétation de Werther lors de la saison 2017-2018, les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine complètent cette distribution. L’orchestre, notamment, rend pleinement justice aux audaces harmoniques et aux détails d’instrumentation parfois étranges d’une partition parfois déroutante, mais que l'auditoire a toujours plaisir à entendre, les rares fois que l’occasion lui en est donnée.