La Damnation de Faust diabolique à Monte-Carlo
C’est en 1893 que le tout nouveau Directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, l’incroyable Raoul Gunsbourg, portait pour la première fois à la scène La Damnation de Faust de Berlioz dans une version à la fois personnelle et spectaculaire. Cette création reçut un succès inouï qui devait se maintenir lors des nombreuses reprises ultérieures. Au terme d’une longue absence de la scène lyrique monégasque, La Damnation se devait donc de reparaître, même en version concertante, portée par une distribution vocale brillante dominée par Erwin Schrott. Ce dernier incarne un Mephisto carnassier, mi ogre, mi personnage roublard, constamment flamboyant. Malgré une trace d’accent assez perceptible qui ajoute à l’exotisme du personnage, sa voix de basse domine avec aisance la totalité du rôle. Le grave résonne avec force, le legato et la largeur en imposent, l’aigu plafonne un peu quelquefois, quelques accents sont certainement et volontairement trop appuyés. Les airs de Mephisto -la chanson de la puce, la sérénade- sont interprétés avec une savoureuse délectation. L’artiste occupe presque sans partage la scène. À aucun moment, il ne s’assied comme ses partenaires durant la représentation -même durant les airs et duos de ses collègues-, restant debout à son pupitre, laissant planer comme une menace diabolique sourde et permanente. Il n’hésite pas à donner le départ au chœur ou forcer le trait vis-à-vis du public. L’attitude tout de même un peu envahissante d’Erwin Schrott semble gêner à plusieurs moments ses partenaires, même si musicalement tous les échanges entre Faust/Marguerite/Mephisto se trouvent parfaitement en place.

Sophie Koch déploie toutes les couleurs chaleureuses de sa longue voix de mezzo en Marguerite, avec cette musicalité sans faille qui la caractérise, ce sens inné de la beauté et de l’esthétisme qui pare constamment son chant. L’interprétation élégiaque de ses deux airs, La Ballade du Roi de Thulé et d’Amour l’ardente flamme, apporte la touche de sérénité indispensable dans cet ouvrage et traduit sans ambiguïté toute la jeunesse et les espérances du personnage.

Jean-François Borras apparaît pour sa part en forme toute relative dans le rôle de Faust. La voix ne se déploie pas comme à son habitude, restant trop canalisée et presque contrainte à divers moments. En tentant d’alléger sa ligne de chant, il connaît quelques petits incidents dont il n’est pas coutumier. Une fatigue passagère très certainement au sein d’une saison chargée et fort brillante. Il sera possible de le retrouver dans le rôle de Faust à la Philharmonie de Paris le 15 janvier 2020 avec l’Orchestre de Paris dirigée par Tugan Sokhiev.

Artiste du chœur, la soprano Galina Bakalova se distingue dans le Pandémonium final et l’Apothéose de Marguerite, par son legato bien conduit et son aisance. Frédéric Caton campe un Brander sonore, avec cette fameuse chanson du rat très alertement chanté.

Placé à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dont il est Directeur artistique et musical, Kazuki Yamada n’insuffle pas toujours à la musique de Berlioz toute l’intensité souhaitée, la flamme voire l’éclat attendus. À une Marche hongroise trop tempérée, répond cependant une Danse des Sylphes tout en nuances et en délicatesse. Comme à son habitude, le Chœur de l’Opéra maison dirigé par Stefano Visconti s’illustre par sa précision et sa vaillance dans une partition ardue.
