Les Arts Florissans, Marguerite Louise Charpentier à la Chapelle de la Trinité
Cet ensemble sur instruments d'époque est né pour rendre hommage aux compositeurs baroques, notamment Couperin (le nom de la phalange est un hommage à Marguerite Louise Couperin, chanteuse et cousine de François Couperin) et Charpentier (auquel l'ensemble a dédié son premier album en 2015).
Le programme lyonnais de ce soir est un diptyque hagiographique superlatif à la Gloire de Louis XIV, Roi dépeint comme plus fort que les Dieux et les éléments réunis. Charpentier doit en effet combler sa mécène Marie de Lorraine (Mademoiselle de Guise) qui veut célébrer les Victoires militaires du Roi Soleil (annexions au Nord-Est du Royaume en 1684) et qui commande ces deux œuvres musicales, pour ce faire. La première, La Couronne de fleurs en devient même une caricature, mais, ce Roi qui offre à lui seul la Paix, permet ensuite que s'expriment Les Arts Florissans (les exploits de Louis XIV y font vivre et chanter les incarnations allégoriques des différentes disciplines artistiques).
Gaétan Jarry choisit même de présenter La Couronne de fleurs en extraits, afin d'en faire un prélude glorieux aux Arts Florissans. La candeur constante et universelle manifestée par chacun des instrumentistes et chanteurs soutient cet esprit hagiographique. Les sourires radieux portent les accords lumineux à la gloire du Roi Soleil. L'ensemble rend ces œuvres comme elles devaient l'être, prenant leur signification au premier degré et illuminant tous les degrés de la gamme. D'autant que la qualité d'articulation explique l'absence de sur-titres et rend facultative la lecture des textes dans le programme.
Radieux et intense, élancé et puissant, noble et expressif : autant de caractères complémentaires que les musiciens suivent directement dans la direction de Gaétan Jarry. Si certains chefs étonnent parfois en se soulevant sur la pointe des pieds, voire en rebondissant, ou même en sautillant, Gaétan Jarry, lui, saute, littéralement : il bondit et s'élève à plusieurs centimètres du sol entre deux pas de ballerines, pointes et chassés incroyables. Ce spectacle n'accapare pourtant pas l'attention, car il se met pleinement au service du résultat sonore. Le chef lance ainsi (avec des exclamations en chtong et fffa), des mouvements sonores expressifs mais contrôlés. La richesse des percussions sonores et martiales conserve son élégance, comme les bois très timbrés. La virtuosité assumée des passages concitati (agités) fait voler savamment les archets. L'intensité sait même servir la tendresse pastourelle, la légèreté affermie d'une flûte à bec dont se saisit le bassoniste (élevant d'autant l'équilibre harmonique).
Virginie Thomas entre en Flore (pour La Couronne de Fleurs) chantant "tendres fleurs sur l'herbette", appelant bergères et bergers d'une voix conduite en corolles. Vibrante et souple, elle cadence chaque phrasé avec allant et douceur, dans la naturelle récitation du chant. Dans Les Arts florissants, elle devient l'incarnation de La Poésie et en porte bien le nom par une prosodie naturellement chantante, un mezzo piano très sensible et perceptible, sûr dans la tendresse de l'appui.
Égale en douceur, Maïlys de Villoutreys apporte la tendresse de Roselie mais aussi la douleur par une voix intense fermement alanguie ("Et mourez de plaisir et d'envie"). La voix tient et appuie les sons filés puis les vibre légèrement. Paradoxalement, elle est moins musicale en Musique (allégorie qu'elle incarne dans Les Arts florissans), plus tendue mais moins projetée, peu intelligible et déformant des phonèmes (voyelles ouvertes fermées, fermées ouvertes, sons peu nasalisés, consonnes estompées), dans un volume refluant. Mais sa fin en douceur inspire la paix revenue au chœur glorieux.
Cécile Achille chante la Paix et une Amaranthe attristée par la difficulté des vocalises : le talon d'Achille est dans l'agilité mais le talent d'Achille est dans la rondeur vocale qui enrobe le plateau d'une concorde cotonneuse (en particulier dans le grave poitriné). Jonathan Spicher incarne la Peinture avec un ténor qui monte en douceur vers le haute-contre (mais un peu larmoyant). Floriane Hasler est l’Architecture avec une voix bien construite, aux fondations solides : le large volume d'un timbre chaud et appuyé mais sachant aussi orner des fioritures vocalisantes. La longueur de souffle de Virgile Ancely est un peu trop courte pour semer la Discorde (nom de son personnage) mais en garde les accents et appuis d'une voix directe et franche.
Cyril Costanzo, port de tête et de voix noble et sûr, se déploie dans les médiums (mais pas dans les graves, qui échappent à son ambitus, comme les vocalises perdent leur soutien). Le phrasé pose toutefois au Dieu Pan un caractère ferme, par une voix naturellement résonnante dans l'acoustique marmoréenne de la Chapelle (un marbre sublime rehaussé par les jeux de couleurs adaptés aux différents climats des œuvres au programme ce soir).
En dehors de leurs interventions, les solistes rejoignent le chœur pour participer au son collectif, riche, harmonieux et doux. Après une présentation bien longue et peu audible, par le chef, de l'intrigue d'Actéon, son court et merveilleux chœur final referme en bis ce programme Charpentier, dans les acclamations Florissantes.