Orchestre de Chambre et Maîtrise Notre-Dame de Paris en Requiem à Saint-Eustache
La Maîtrise Notre-Dame de Paris, privée de son sanctuaire depuis le terrible incendie du 15 avril dernier n'en poursuit pas moins son activité musicale, accueillie pour ce faire par d'autres églises et notamment Saint-Eustache, comme ce soir. Comme chaque fidèle doit se sentir chez lui dans une maison religieuse, la Maîtrise s'épanouit vocalement dans cette autre paroisse. Habituée à l'immensité de Notre-Dame de Paris, la phalange chorale composée du chœur d'adultes et du jeune ensemble investit pleinement l'imposante hauteur de plafond à Saint-Eustache, dans des points d'orgue emplis de lumière et de justesse.
Ces points d'orgue font d'autant plus d'effet qu'ils sont l'aboutissement de mouvements très rapides impulsés par le maestro. Douglas Boyd dirige en effet la maîtrise habituée aux églises comme il dirige habituellement l'Orchestre de chambre de Paris, habitué aux salles de concert : avec l'alacrité correspondant à son tempérament, à ses instrumentistes précis, aux acoustiques d'habitude plus sèches. Les chanteurs ne trébuchent pourtant nullement sur le tempo, même lorsqu'il devient effréné. Les articulations de paroles sont aussi agiles que celles des archets, des anches, le tout sur des timbales très précises dans l'application constante et méticuleuse.
La musique s'anime en grands changements de tempi et donc de caractères. La Gloire Divine éclate aussi puissamment que la prière du Salut résonne en douceur. Les pupitres se suivent et se répondent en contrepoint, notamment grâce à l'œuvre interprétée en prélude au Requiem de Mozart : la Fantaisie pour cordes de Vaughan Williams qui permet aux archets de tour-à-tour s'aiguiser et s'adoucir, de roder les changements de caractères et de couleurs qui serviront notamment les grands éclats de la Messe des morts, sous lesquels sourd toujours une note tenue ou un accord lumineux. Avec cette Fantaisie, ce sont quatre siècles musicaux de son Royaume qu'apporte Douglas Boyd, les richesses des musiques médiévales de Thomas Tallis (1505-1585) employées pour celles de Vaughan Williams (1872-1958).
Et pour ce Requiem une dream team de solistes entoure @dougieboyd ! De gauche à droite : David Soar (basse), @JamesBWay (ténor), @EvaZaicik (mezzo-soprano) et @MireilleSoprano (soprano). Réserver pour le 20/11 : https://t.co/22VScWwaVG pic.twitter.com/Jsr3HLqttM
— Orchestre de chambre (@orchambreparis) 18 novembre 2019
La maîtrise porte une fois encore bien son nom. Les sopranos et altos placent impeccablement des voix angéliques, une candeur enfantine dans la finesse des harmoniques et la douceur des résonances, tout en restant présentes jusque dans les travées. Si les ténors resserrent leurs aigus et perdent rapidement l'endurance, ils suivent pourtant eux aussi les rythmes freinés puis effrénés, rejoints par des basses qui montent également vers le haut de la tessiture.
Mireille Asselin entre, la première parmi les solistes, avec une candeur processionnelle correspondant au caractère de l'œuvre. Ses trois collègues en feront autant, ce qui permet que leurs fréquentes allées et venues entre le podium et leurs chaises sur les côtés (avant et après chaque intervention, même lorsqu'il ne s'agit que d'une phrase) ne viennent point rompre l'ambiance du concert. La soprano prolonge son attitude modeste par une voix qui reste pudiquement en-dessous de la note puis trémule au-dessus. Mais la ligne gagne en expressivité, comme le regard. Ses lignes sont homogènes et chaque note est travaillée.
Eva Zaïcik franchit un nouveau pas symbolique ce soir, parmi les nombreux qu'elle franchit ces dernières années dans sa carrière : celle qui fut jeune chanteuse à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, est désormais bien devant ses anciens camarades, au tout premier rang des solistes. Ce soir, elle s'avance dans un sourire étincelant (comme sa veste à paillettes) et qui restera aussi contant que sa voix, très présente jusque dans le pianissimo. Le chant vibre à mesure que la ligne et l'émotion se déploient. Ses phrases s'enchaînent comme autant de délicatesses, toutes richement nourries sans exception, en soliste comme en ensemble. La chaleur du timbre sert aussi bien l'identité unique de sa voix soliste que l'identité collective du quatuor.
Le ténor James Way fait une entrée éclatante, mais tous ses débuts de phrases et ses ornements lourés en cours de mots hésitent encore sur la justesse et le placement. Les résonances sont tendues lorsqu'il soutient, le souffle s'amenuise dans les ensembles, mais il revient avec quelques articulations allégées, adoucies.
David Soar ne dispose pas des notes extrêmes de la partition (notamment de toute la partie aiguë). Gêné par l'ambitus exigé, il chante dans une autre tonalité. La tonalité des notes fausses lorsqu'il serre la nuque et donc le son. La tonalité d'un autre caractère dramatique lorsqu'il baisse progressivement le menton mais il se rapproche alors des rôles de basse dans les opéras de Mozart. Le lyrisme qui se dégage alors fait comme invoquer la Statue du Commandeur, tout à fait adapté à un Requiem.
Requiem pour une Cathédrale brûlée mais, tandis que les débats font rage sur la reconstruction de l'édifice, sa maîtrise musicale continue à renaître dans la concorde et l'harmonie.