Mahler et Chostakovitch en vanité par Goerne à la Philharmonie
À la fois poétique et métaphysique, le programme de cette soirée à la Philharmonie est construit comme une « vanité », ces tableaux représentant la mort par des crânes ainsi que la fugacité de la vie par de riches mets, périssables. Entre réflexion sur la mort et passage du temps, le public assiste ainsi à une gradation dans les formations (du quatuor de chambre à l’orchestre avec voix) mais aussi dans la tension symbolique et philosophique des pièces. La première partie est instrumentale, elle débute par le Quatuor avec piano de Mahler, œuvre de jeunesse particulièrement sensible, se poursuit par une composition beaucoup plus complexe, le Totenfeier, poème symphonique et « Fête des morts ». Après l’entracte vient la Suite sur des poèmes de Michel-Ange composée par Chostakovitch, qui semble témoigner de l’esthétique humaniste du peintre et poète. Cette pièce de fin de vie (Chostakovitch disparaît l’année d’après) se clôture alors sur un rappel de l’enfance -« L’immortalité », dernière pièce, est composée à partir d’un thème écrit par Chostakovitch à l’âge de neuf ans.
En introduction au concert, le Quatuor avec piano témoigne d’un travail profondément musical. Si le violoniste Juan Fermin Ciriaco montre parfois quelques velléités de soliste, l’ensemble reste cependant très homogène. Le jeune pianiste Alexandre Kantorow, récemment lauréat du Prix Tchaïkovsky demeure discret mais Daniel Vagner à l’alto se remarque par des interprétations très subtiles. Le Totenfeier fait alors davantage figure de transition philosophique, certes marquée d’une interprétation quelque peu diminuée en raison du changement de chef (Mikko Franck s’étant déclaré souffrant à quelques jours du concert).
Le chanteur Matthias Goerne entre alors en scène avec beaucoup de modestie. Le baryton montre en effet une grande maîtrise de sa voix, alternant entre graves gutturaux, presque caverneux (« La Nuit ») souvent très sombres, et aigus perçants, étonnamment presque cristallins comme dans « Le matin ». Si certaines pièces paraissent techniquement plus difficiles, avec une voix quelque peu essoufflée et une diction qui se fait moins précise, comme dans « Courroux », le baryton se remet vite, et livre une interprétation très authentique, sans jamais surjouer la portée métaphysique des pièces. Il s’amuse avec ainsi les tonalités traditionnelles empruntées par Chostakovitch dans « Créativité », dansant presque sur la scène de la Philharmonie. Cet engagement, très corporel finalement, s’allie aussi une grande finesse de jeu. En effet les onze pièces des Poèmes de Michel-Ange correspondent à des ambiances très différentes. « La Mort » invite ainsi sur quelques mesures Matthias Goerne à une grande légèreté, contrastant immédiatement avec la rondeur et la chaleur des tenues de la pièce « La Nuit ».
Si voix et instruments ne cessent de jouer et d’échanger ensemble, comme dans la doctrine humaniste, c’est l’humain qui est placé au cœur de ce concert. Matthias Goerne se place alors en « Dante » moderne (auquel rend également hommage l’un de ces sonnets mis en musique) : l’art conjure la vanité (attente de la mort) par la catabase, descente aux Enfers.