Orphée aux Enfers, Offenbach version british à l'English National Opera
Le plus français, le plus parisien, sans doute, des compositeurs d'origine allemande est lui aussi traduit dans la langue de Shakespeare quand il débarque à l'English National Opera. Orphée aux Enfers d'Offenbach chanté et surtitré en anglais attire un public large et divers par cette parodie, excentrique et déchaînée, modernisée du mythe antique. La mise en scène, moderne et captivante suit et prolonge ce parti-pris de l'œuvre avec des chorégraphies endiablées, un éclairage coloré (Malcolm Rippeth) et de riches costumes (Lez Brotherston).
Dès l'ouverture, l'idylle du jeune couple traverse des changements de décors constants, rapides et efficaces, à l'image des épisodes de cette vie conjugale déraillante. Leurs péripéties, précipitées par un serpent et Pluton en personne, les mèneront en taxi londonien jusqu'aux Enfers (la localisation de la version s'opère par la traduction des textes mais aussi des clins d'œil scéniques). Sur une imposante structure à plusieurs niveaux, les personnages et choristes, au milieu de ballons de baudruches, se disputent, jouent et dévoilent une complicité divertissante. L'Enfer est bien gai, mais le drame revient par Eurydice, prisonnière dans une petite cabane dont elle essaye d'enfuir. Tout finit pourtant dans une ambiance festive de cabaret brillant, très brillant, surchargé même, jusqu'au moindre détail. Comme pour rappeler que tout n'est pas si joyeux au royaume des Dieux et du temps d'Offenbach (le couple d'Orphée et d'Eurydice est aussi une critique du triste confort marital bourgeois et des mariages de raison à l'époque du Second Empire).
La distribution, d'une haute précision musicale et scénique, est particulièrement convaincue ce soir. Amplifiés uniquement pour le texte parlé (aussi intelligible que le chant), les artistes prennent tous leur rôle à cœur et en chœur. Dans le rôle-titre d'Orpheus (Orphée en anglais) le ténor Ed Lyon est d'abord un peu réservé avant de s'élancer dans sa quête avec détermination. La voix suit, tout en gardant le contrôle sensible (notamment dans les aigus, imprégnés de douceur). Elle manque cependant de relief dans le phrasé.
La soprano Mary Bevan s'empare de la malheureuse Eurydice avec une sensibilité naturelle. Ancrée dans des harmonies graves, chaudement accrochées et volant vers des aigus volatiles et délicats, elle se meut comme sa voix riche, avec une aisance scénique. Dans le rôle de la Public Opinion, Lucia Lucas, transgenre à la tessiture de baryton, prend part à l'aventure avec humour et convivialité. Maître de cérémonie, conduisant le drame puis le taxi, son jeu est comique et tendre, le timbre vocal a des appuis chaleureux.
Le ténébreux Jupiter de cette soirée revient à l'auguste baryton-basse Willard White. Dans l'élan de son jeu fortement expressif, la voix grave, ample en impose et résonne longuement dans la salle. La mezzo-soprano Anne-Marie Owens joue une Juno imperturbable. Le jeu autoritaire de la déesse conjugale présente globalement un chant homogène et volontairement sévère.
Le diable se cache dans les détails, le dieu des Enfers Pluton (Alex Otterburn) concentre lui aussi des subtilités dans le grain d'une voix solide et compacte, marquante, intense en projection et claire en lignes. Le chanteur reste constamment dans son personnage à travers des expressions et un jeu provocateur, adapté à ce rôle machiavélique et malfaisant, faisant sensation auprès du public. John Styx a des mélodies aussi nettement conduites, le ténor Alan Oke tonifiant un léger vibrato, s'allégeant parfois pour charmer, conservant toujours la ligne.
Venus (la soprano Judith Howarth) est une voix généreuse et pleinement projetée, comme elle exploite entièrement sa tessiture homogène. Ses aigus dans les ensembles sont remarqués par un soutien de justesse notable. Le messager Cupidon est joué par la soprano Ellie Laugharne. Pétillante et active dans ses moindres gestes, la voix est énergique, voluptueuse et sans difficultés apparentes (même quand elle accompagne son chant d'une chorégraphie vivante). Le baryton-basse Keel Watson joue un Mars passif scéniquement mais présent par un timbre élevé. Enfin la mezzo-soprano Idunnu Münch incarne une Diana élégante, lady sensuelle et dotée d'aigus affirmés, cuivrés.
Le chœur maison se montre constamment impliqué dans l'action scénique et vocale, même si quelques décalages avec l'orchestre se font entendre. La fosse dirigée par Sian Edwards, guide l'ensemble des solistes, choristes et de l'action avec dynamisme, ainsi qu'une efficacité sonore majestueuse. La battue est claire, bienveillante, l'orchestre très réceptif comme l'accueil du public qui couronne d'un succès Offenbach in english.