Ernani de Verdi comme un Noël avant l’heure à l’Opéra de Vichy
Avec
la programmation de cette œuvre signée d’un Verdi jeune
trentenaire (l’opéra fut créé en 1844), la maison lyrique vichyssoise donne une nouvelle illustration des liens désormais bien
solides noués avec l’Opéra de Lyon. Initié par l’ancienne
directrice de l’Opéra de Vichy, Diane Polya-Zeitline (notre interview bilan), puis
intensifié par son successeur Martin Kubich, ce rapprochement avec
le voisin lyonnais a permis ces dernières années au public local
d’applaudir Le Couronnement de Poppée, Le Retour d’Ulysse, ou encore un brillant récital baroque du contre-ténor Lawrence Zazzo. Des spectacles alors très applaudis,
auxquels vient donc désormais s’ajouter cet Ernani en version de
concert... et de gala.
Authentique condensé d’airs de bravoures, l’adaptation du roman de Hugo requiert une intensité vocale toute particulière, qui est ici au rendez-vous. Quatre jours après s’être produit dans cette même production à l’Opéra de Lyon, et au surlendemain d’une représentation parisienne au Théâtre des Champs-Élysées, Francesco Meli est le premier à se mettre en lumière. Dans ce rôle qui lui est désormais familier, le ténor italien démontre qu’il ne cède en rien à la fatigue imposée par cette “tournée”. Surtout, il prouve (s’il le fallait encore) qu’il est un formidable chanteur verdien. De ses premiers airs du tout début de l’acte I (splendide enchaînement du “Come rugiada al cespite” puis de “O tu che l’alma adora”) jusqu’au final, celui qui fut dernièrement un Charles VII remarqué à La Monnaie de Bruxelles assure une émission râblée et d’une égale constance sur l’ensemble des quatre actes. Grace à un habile jeu de nuances et une gestuelle expressive, l’expression de l’élan amoureux et de l’emportement sont restitués dans une performance de haut vol.
Amartuvshin Enkhbat, magistral Don Carlo
Un an tout pile après avoir remplacé ici-même Leo Nucci (rien que ça) en Nabucco, Amartuvshin Enkhbat est un époustouflant Don Carlo. Sans même paraître forcer outre mesure (la bouche reste la plupart du temps mi-ouverte), le baryton mongol se distingue par l’emploi d’une voix plus qu’imposante, d’une profondeur saisissante, et qui conserve un pareil éclat dans chacun des registres. Le public se régale notamment sur “Oh de verd’anni miei”, au début de l’acte III, conclu par un aigu alpin après un exquis dialogue avec les violoncelles. En Silva, Roberto Tagliavini est tout aussi constant dans l’émission d’une voix particulièrement robuste, au timbre ardent et caverneux. La basse italienne fait la formidable démonstration qu’il possède toutes les qualités requises pour incarner la majesté d’un tel rôle verdien.
En Elvira, Carmen Giannattasio livre une performance honorée. Dans sa robe aux teintes roses, et avec ses lunettes aux épaisses montures (un style détonant avec les costumes sombres de ses acolytes masculins), la soprano prouve qu’elle est une tragédienne. Son chant est sans cesse habité par le souci de l’expressivité et de la transmission d’émotions diverses, avec une voix aisément projetée et ne manquant jamais de relief. Les aigus, quoique émis dans des élans de fougue d’une grande générosité, ont hélas tendance à être projetés avec une puissance quelque peu démesurée, et non sans un certain flottement dans la justesse. La complicité vocale comme scénique de la soprano avec son Ernani d’un soir, elle, fonctionne à plein.
Plus furtivement, en Giovanna, Margot Genet donne à entendre une voix de soprano aux intonations claires et harmonieuses. Le baryton-basse Matthew Buswell (déjà vu à Vichy au printemps dernier dans Le Retour d’Ulysse) est un Jago qui en impose par une voix chaudement timbrée. Le ténor Kaëlig Boché campe un Don Riccardo de bon aloi, avec une voix aux contours plutôt bien lustrés.
La direction athlétique de Daniele Rustioni
Dirigé par un Daniele Rustioni à la gestuelle enjouée et ample (il en vient à sautiller sur son estrade), l’Orchestre de l’Opéra de Lyon livre une performance pleine de la fougue et de la fièvre attendues pour l’exécution d’une telle partition. Dans ce catalogue verdien d’émotions diverses, chaque attaque est marquée par la juste accentuation, et chaque phrasé se trouve magnifié par un nuancier empreint de teintes riches et chatoyantes. En symbiose avec l’orchestre, les Chœurs de l’Opéra de Lyon (conduits par Johannes Knecht) n’en sont pas moins impeccables, gratifiant chacune de leurs interventions d’un puissant éclat, sans jamais sacrifier au respect de nuances plus modérées imposées par l’intrigue.
Le public vichyssois applaudit chaudement la venue dans sa salle dorée de cette nouvelle production lyonnaise, qui en appelle beaucoup d’autres.