Macbeth dans le chaudron des sorcières à Luxembourg
Un
unique décor occupe toute la scène, une vue en coupe du chaudron
des sorcières qui laisse voir ce et ceux qui y mijotent. Dans le
fond de l’immense coque grise évoluent Macbeth, Lady Macbeth, ou
le chœur de la patrie opprimée. Le meurtre de Banco, poignardé,
rappelle les jeux du cirque dans cette arène de circonstance. Des
rebords du chaudron surgissent, d’abord tapis dans l’obscurité,
sorcières et assassins.
L’impression d’écrasement, d’étouffement et d’inéluctabilité, renforcée par un mur au-dessus du chaudron, prend toute son ampleur par ce choix judicieux, d’autant plus que les pentes du chaudron empêchent les personnages de se déplacer sur une longue distance. Ils ne sont pas statiques pour autant et trouvent suffisamment d’espace pour donner libre cours à l’infamie de leurs actions ou à leur désir de vengeance face à la tyrannie de Macbeth. Seul point problématique dans cette mise en scène, il est impossible aux sorcières, depuis le bord du chaudron, d’entamer leur ronde endiablée à l’acte I. Elles sont ici davantage versées dans la danse contemporaine à grands renforts de gestuelle et de mimiques du haut du corps, se penchant ou levant les bras. L’effet de transe reste cependant présent.
Au dernier acte, le mur disparu, les troupes rebelles, écossaises jusqu’aux touches de tartan gris, se tiennent debout sur les rebords, avant de jeter des branches d’arbres dans le fond du chaudron, derniers ingrédients du brouet infâme qui a pris consistance au fur et à mesure des actes. Ainsi, lorsque le couple Macbeth fête son couronnement, les invités célèbrent-ils l’événement vêtus d’immenses écharpes de serpentins. Jetés au fond du chaudron, les rubans de papier ne sont plus qu’un tas de paille qui, sous une lumière rouge écrasante, se transforme en braises. Le rouge est de mise continuellement. C’est celui du sang, de Duncan sur les bras de Macbeth, de Banco dont le cadavre, laissé dans le fond du chaudron pendant toute la cérémonie, accentue d’autant plus le malaise créé par le Brindisi de Lady Macbeth. Celui-ci renforce l’effroi de son mari face à ses hallucinations. C’est enfin celui dont la soprano Katia Pellegrino se couvre le visage avant la mort de son personnage.
Lady Macbeth trouve dans la soprano une interprète de choix. Le jeu
de scène intense qu’elle déploie, sourire sadique, gestuelle
saccadée ou lente et appliquée, servirait également la Lady
shakespearienne sur une scène de théâtre. À ce jeu de scène
s’ajoute une voix immédiate. Katia Pellegrino passe des
aigus les plus carnassiers à une assise de poitrine assurée. Jamais
couverte par l’orchestre, sa palette de nuances s’accorde au
livret. Les injonctions au meurtre claquent, comme une gifle vocale
adressée à son mari pour le secouer. Le timbre se fait grinçant,
railleur, avant que le coffre n’explose sous la fureur ou la joie
maléfique de la sanguinaire, le tout couronné par une articulation
superlative.
Sous son emprise, le Macbeth du baryton Craig Colclough est lui aussi pleinement caractérisé par un jeu scénique abouti, qui imprime à son personnage une galerie d’expressions convaincues, du regard craintif à l’effroi, de l’homme désemparé au tyran. L’assise vocale est l’autre pendant de cette incarnation. La diction claire dès la première intervention, le coffre puissant, transforment le veule Macbeth contaminé par sa femme en tyran. Le vibrato, sans excès mais placé avec soin sur certaines syllabes, se calque à bon escient sur les expressions physiques successives du baryton. En proie à ses hallucinations devant le spectre de Banco, ce vibrato accentue les tremblements et le rythme saccadé par endroits, et finit par se transformer en grondement.
La basse Tareq Nazmi, dans la même veine, campe un Banco dont les graves sont aussi assurés que les mediums. Lui aussi au service du texte, il donne à son timbre une couleur plaintive avant la découverte du corps de Duncan, et des graves d’une douleur désespérée. Baignant dans son sang, le cadavre s’anime en une expression corporelle pertinente. À l’autre bout du spectre vocal, le ténor Najmiddin Mavlyanov est un Macduff presque trop chaleureux pour une œuvre aussi sombre. Mais l’articulation optimale, la puissance des aigus et l’usage raisonnable et raisonné du vibrato servent l’incarnation du personnage.
Les plus petits rôles ne sont pas en reste, depuis le Malcolm du ténor Michael J. Scott puissant et bien en place, à la dame de compagnie de Lady Macbeth, la soprano Chia-Fen Wu, bien audible malgré sa position en retrait, commentatrice claire et distincte par son articulation du somnambulisme de Lady Macbeth. Elle est secondée par le baryton-basse Donald Thomson, au rôle multiple (domestique, médecin) lui aussi appuyé par ses graves assurés.
Préparé par Jan Schweiger, le Chœur de l’Opéra Ballet de Flandre offre aux sorcières une incarnation diabolique à souhait. Le timbre assuré dès le Che Faceste, l’articulation est là aussi toujours très claire, les chuchotements distincts et empreints d’une couleur conspiratrice et maléfique. Le Patria oppressa résonne d’une douleur magnifiée.
Gustavo Gimeno et l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg choisissent des tempi seyants. Le prélude et les multiples reprises de sa ligne mélodique sont exécutés avec les couleurs dramatiques appropriées, sans effet de style exagéré. Les dernières notes de la harpe, angoissante et onirique, plongent d’emblée le public dans l’univers effroyable du couple Macbeth, effroi magnifié par les percussions.
Le public, assez réservé tout au long de la représentation, laisse enfin éclater un tonnerre d’ovation et de bravi pour la mort du tyran.