Paroxysmes Wagnériens à l’Opéra Royal de Versailles
Tant
d’éléments pourraient
opposer Richard Wagner, tête de file du romantisme tardif, à
l’Opéra Royal du Château de Versailles, petit bijou de l’architecture baroque, et cependant
leur rapprochement donne lieu à un moment musical inoubliable. Les
extraits des trois opéras du maître germanique se révèlent des
moments paroxystiques, transportant l’auditoire dans
un flux vocal et instrumental bouleversant. Le baiser de Kundry dans
Parsifal
engage leur
confrontation
dans une hystérie saisissante et le
premier acte de La Walkyrie
s’achève en apothéose, Siegmund et Sieglinde s’avouant leur
amour avant de se reconnaître
comme frère et sœur.
La passion est mise à nu dans le prélude de Tristan et Isolde où
se
mêlent désir
et pulsion de mort, celle-ci dans un moment d’extase et de suspension du temps.
Ces climax musicaux correspondent à des paroxysmes vocaux portés par deux interprètes rompus au style wagnérien, faisant vivre au public une expérience vibratoire intense. Michelle DeYoung interprète le terrible rôle de Kundry, déployant un grave corsé, des aigus affirmés et une aisance à effectuer les grands intervalles de la partition. Elle saisit tout d’abord par la rondeur et la puissance de son timbre richement vibré lorsqu’elle tente de faire succomber Parsifal au péché de chair. Son émission large, en adéquation avec la texture épaisse de l’orchestre, est également nuancée (piano sur Kuss, baiser) et, s’appuyant fortement sur les consonnes, elle délivre scrupuleusement le texte. Le corps arqué, la cage thoracique tenue très haute, elle projette les aigus dans une grande intensité qui culmine lorsqu’elle avoue sa faute d’avoir ri du Christ en un cri et un saut de près de deux octaves sur le mot lachte (j’ai ri). La version concertante lui permet de s’hydrater entre deux répliques, ce qui n’empêche pas son engagement théâtral et la complicité avec son partenaire à travers un jeu de regards et de sourires lorsqu’elle reconnaît son sauveur et qu’elle se donne à lui sans retenue.
La voix puissante et très accrochée de Simon O’Neill retentit dans tout le théâtre, faisant davantage ressortir l’aspect fonceur de ses personnages plus que leur côté romantique. L’intensité lui est aisée jusqu’aux points culminants : le hurlement de Parsifal (« Amfortas ») à la suite du baiser de Kundry ou celui de Siegmund lorsqu’il libère l’épée « Wälse » que le ténor prolonge infiniment. Cependant, sa force peut se révéler une faiblesse lorsque la voix se pince pour délivrer la douceur de l’hymne au printemps de La Walkyrie et que son chant peine à émettre des nuances. Sa théâtralité est accompagnée de gestes conventionnels (bras levés, tête haute), cependant, il offre un phrasé ample s’appuyant sur un souffle long.
Ce récital Wagner revêt une double importance pour l’Orchestre national d’Île-de-France, une inauguration de sa nouvelle saison et un prélude à une collaboration avec le jeune chef américain Case Scaglione, qui explique : « Cette musique est originale, révolutionnaire, enivrante, elle inclut tout. Il n’y a pas de meilleure image pour débuter mes fonctions avec l’incomparable Orchestre national d’Île-de-France ». Dans l’acoustique favorable du théâtre, la phalange offre une prestation haute en couleurs. Les cordes ronronnent délicieusement dans le prélude de Tristan et Isolde offrant des crescendi d’une sensualité non retenue. Les vents, malgré quelques attaques imprécises, colorent fièrement les pages wagnériennes, faisant vivre les suspensions de tempo et de silences demandées par le chef. Suspendu, le public le demeure également avant d’exprimer son contentement par de forts applaudissements.