Madame Butterfly au firmament à Montpellier
Par des claps de main, Goro fait sonner les trois coups. Avec l’ouverture, les serviteurs se succèdent sur scène pour installer les meubles de la maison de Pinkerton, logis aux murs et plafond d’un blanc immaculé et à double fond, indiqués par le rideau laiteux sur le devant de la scène et le gigantesque mur en son fond, mobile telle une cloison coulissante. D’emblée, la situation et les costumes d’Annemarie Woods instaurent un contraste culturel entre des tenues occidentales et les habits traditionnels japonais (la sobriété du noir et blanc alliée aux coupes des hommes, les broderies fleuries de Butterfly). Les rapports de force entre les personnages inscrivent la mise en scène de Ted Huffman dans une fidélité à l’ouvrage.
Cependant, loin de la lourdeur, du faste intempestif que le japonisme de l'opus inspire parfois, celle-ci cherche une authentique poétique de l’épuré. Mieux, elle véhicule une grandeur de la simplicité par laquelle le bouillonnement des passions jusqu’à l’acte fatal se fait d’autant plus sentir qu’il est présenté nu, avec des moyens minimes. Le mobilier est ainsi réduit au strict élémentaire (une étagère, deux tables, le large canapé de Pinkerton), et se trouve davantage dépouillé encore à l’Acte II, alors que les vivres se réduisent comme peau de chagrin. Une fois le mariage passé et le reniement de Cio-Cio San achevé, le vide du logement de Pinkerton l’englobe rapidement. Adapté au plateau de l’Opéra Berlioz, cet espace écrase par sa démesure la jeune femme, de même qu’il confère aux nombreux tableaux de l’attente (la théière posée sur des braises éteintes au début de l’Acte II, Cio-Cio San statique sur une chaise face public) et au statisme des poses toute leur intensité, renforçant la solitude du personnage principal. À défaut d’une richesse de mobilier, restent les lumières de D.M. Wood, dont les teintes chaleureuses accordées aux chandeliers se glacent progressivement, et dont les percées par les cloisons, ouverture sur le monde par où est espéré le retour de Pinkerton, ne rendent que plus confiné le bleu-gris nocturne dans lequel les espoirs de Butterfly s’éteignent.
Au niveau du plateau vocal, Karah Son apparaît dans son rôle-phare de Cio-Cio San, qu’elle porte en tournée dans le monde entier, avec une grande sincérité dans l’expression. Pleinement dévouée comme servante puis comme épouse de Pinkerton, elle montre rapidement une agitation, un frémissement dans la voix, alliée à un certain épanchement dans l’attaque qui transcrivent la force comme la fragilité du personnage. Si les médiums sont parfois aspirés par la fosse, les aigus éclosent somptueux et d’une grande voluptuosité. Une force de caractère nouvelle se dévoile à l’Acte II, les médiums plus incisifs, préservant un souffle intact jusqu’à l’adieu final, dans un dernier aigu qui force le respect. À ses côtés et pour sa prise de rôle, Fleur Barron campe une Suzuki droite et en contenance. La relation avec Cio-Cio San s’incarne dans la justesse, aussi bien par ses silences que par le grain de voix inquiet du personnage, sa plainte finale en un médium relâché et blême, de même que la joie fugace des fleurs répandues au logis en un duo ondoyant.
Habitué des grands rôles romantiques (Werther, Cavaradossi, Rodolfo), Jonathan Tetelman effectue une prise de rôle en Pinkerton dont il dégage d’entrée de jeu l’outrecuidance. Privilégiant le forte et le timbre d’airain du conquérant, le ténor déploie ce qu’il faut de puissance et de rayonnant dans la voix, tout en gorgeant ses médiums et aigus d’un timbre dramatique avec une coloration légèrement appuyée. Après l’avoir notamment porté à Rouen la saison précédente, Armando Noguera retrouve un Sharpless à maturité et d'une présence scénique marquée. Le baryton montre la complexité du personnage et son tiraillement constant, par une voix balancée entre la fermeté des basses acerbes et martelées dans la condamnation des agissements de Pinkerton et une plus grande souplesse avec des médiums étendus pour Cio-Cio San.
Le Goro de Sahy Ratia aux aigus légers et serviables prend à cœur son rôle d’entremetteur, le Prince Yamadori de Ronan Nédélec traduit la dévotion en des lignes épanchées, larges et sonores, l’intervention trépidante mais non moins décisive de l’Oncle Bonze (Daniel Grice) portant une heureuse gradation dans la voix jusqu’au reniement. Kate Pinkerton (Christine Craipeau) offre l'alliage de l'enrobé et de la fermeté vocale dans sa requête envers Suzuki, dont celle-ci ne peut se défiler.
Le Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie cultive un chant rituel, dont l’homogénéité comme la proximité sur scène incarne la rupture rapidement consommée entre le groupe et Cio-Cio San. Restent de belles résonances, avec des aigus parfois crispés cependant. Sous la direction de Matteo Beltrami, la phalange des lieux est emphatique sans s’égarer. Les nombreuses doublures qui parsèment la partition accompagnent les voix avec une richesse de timbre (les glissandi des violons sur ceux des voix, à l’heure du duo fleuri entre Cio-Cio San et Suzuki). Reste un son ample et généreux, qui vient se lotir sur la scène dépouillée et les silences si expressifs des personnages.
Une standing ovation attend naturellement Karah Son en fin de concert, accompagnée de bravi enthousiastes pour toute l’équipe artistique.