Cantates de Bach, Banquet céleste le midi à Rennes : "Je suis comblé"
Le choix des deux œuvres retenues est contrasté, bien qu'elles appartiennent à la même forme cantate. Die Zeit, die Tag und Jahre macht (Le temps fait les jours et les années), cantate profane pour alto, ténor et chœur, offre un caractère plus léger et festif que la première œuvre au programme, la cantate sacrée Ich habe genug (Je suis comblé) pour alto solo. Son caractère intimiste et profond ne proclame pas la joie de vivre (a fortiori hédoniste) mais le bonheur ravi d’une plénitude d’ordre spirituel et mystique.
Musique intimiste, le petit effectif (quelques instruments, un seul chanteur) et le peu d'effets qu'elle nécessite laisse à penser que Bach la réservait pour un cadre domestique. Cadre que compose Damien Guillon comme chef et interprète. La technique du chanteur est tout d'abord remarquée (diction modèle, registres d’une grande homogénéité, souffle absolument maîtrisé notamment dans les sons graves tenus, attaques toujours en douceur, vocalises et ornementation précises, éloquence des phrasés constante) mais également le sens expressif d’une grande délicatesse, conjuguant souffrance sans ostentation du chrétien anticipant sa mort dans l’air Schlummert ein (laissez le sommeil vous envahir, yeux accablés, fermez-vous avec douceur), mort sublimée par la délivrance, en toute sérénité dans l’air final Ich freue mich an meine Tod (je me réjouis de ma mort). Au service du compositeur, aucune ornementation n'est emphatique ou gratuite, chacune est extrêmement dosée aussi bien au niveau émotionnel que rationnel. Texte et musique sont liés d’une manière intime, d'autant que Damien Guillon chante tout en conduisant les instrumentistes du Banquet Céleste. Ensemble, ils commentent le texte.
Le ténor Thomas Hobbs les rejoint dans la seconde cantate et tient lui aussi son rôle : l'œuvre étant conçue comme un mini-opéra (genre dans lequel le compositeur n’a jamais pu s’exprimer), dialogue entre deux personnages allégoriques, die Zeit (le Temps) et die Gottliche Vorsehung (la Divine Providence). Thomas Hobbs donne au Temps (le passé) une allure un peu hautaine, toisant la Divine Providence (l’avenir) au regard malicieux car elle a le privilège d’annoncer des événements à venir encore plus fastueux ! Dès son premier air, le ténor au timbre clair est aisé, souple notamment dans les périlleux sauts d’octave (même note à deux hauteurs différentes). Le ton est énergique, les vocalises précises, la voix projetée et la prononciation tout aussi exemplaire que son comparse.
C’est dans le premier duo que réside tout l’esprit de cette cantate : les deux chanteurs s’affrontent en mettant à profit leur technique, leur musicalité mais aussi leur complicité (forgée par l’habitude de chanter ensemble) dans une aimable dispute incitant les cœurs à faire vibrer les cordes, à se quereller, à plaisanter.
Lors du chœur final, ils sont rejoints par six jeunes chanteurs, étudiants du Pont Supérieur Bretagne Pays-de-la-Loire, pour former un ensemble vocal équilibré et plaisant. La dizaine de musiciens virtuoses du Banquet Céleste, en pleine et constante homogénéité, déploie l'accompagnement tel un partage collectif, sans jamais tirer la virtuosité à soi. En découle, sur la table d'harmonie de ce banquet, une saveur délicate, moelleuse, succulente dont se délecte le public d'un bout à l'autre du concert.
Après un bis (reprise de la première partie du chœur final) et des applaudissements chaleureux c’est un public comblé qui prend le chemin de la sortie.