Le Comte Ory jeune et populaire par la Compañía Clásica del Sur de Buenos Aires
Pendant que Juventus Lyrica (voir nos comptes rendus de La Traviata et de La Flûte enchantée) festoie
pour ses vingt ans avec un gala d’anniversaire au prestigieux Teatro Colón, c’est, non loin de là, dans le quartier populaire
et touristique de San Telmo que la compagnie Clásica del Sur, qui dispose à Buenos Aires d’un orchestre et d’un chœur permanents ainsi
que d’un centre de formation pour chanteurs lyriques, offre dans la modeste
salle du Teatro Luz y Fuerza quatre représentations de l’opera
buffa de Rossini.
César Tello est un artiste complet qui dirige les dix-sept musiciens se trouvant en fosse et qui signe aussi la conception des costumes, ainsi que la réalisation du maquillage et des perruques. Le défi, sur le plan de l’orchestration, était d’importance, et il est partiellement relevé. César Tello parvient effectivement à faire ressortir les couleurs de cet orchestre en formation de chambre en l’adaptant au mieux, du point de vue des volumes, au caractère burlesque et parfois intimiste de l’intrigue, relayé par le ton de la mise en scène de Gabriel Villalba. Mais certaines pages de la partition sont mieux interprétées que d’autres où l’imprécision et le manque d’ajustement des cordes en particulier nuisent parfois à l’ensemble.
Gabriel Villalba conçoit une mise en scène à la fois économe en moyens matériels (ce qui se comprend fort bien compte tenu des circonstances économiques du pays) et efficace sur le plan dramatique. Le deuxième acte en particulier est traité avec rythme et originalité. L’ouverture de celui-ci voit les simagrées du Comte Ory et de ses sbires atteindre leur objet : les parodies de processions religieuses alors que la troupe du Comte est déguisée en bonnes sœurs, sont habilement conçues et font rire le public tandis que le ménage à trois formé par Ory, la Comtesse Adèle et Isolier, réunis dans le même lit, accentue encore la trame comique et burlesque de l’audacieux livret conçu par Scribe et Delestre-Poirson.
Ce Comte Ory est surtout l’occasion de découvrir des voix intéressantes qui présentent pour beaucoup d’entre elles, et c’est à mettre à l’actif du charismatique directeur de la compagnie, un beau potentiel. Juan Manuel Plante est une voix jeune et prometteuse, pour peu que le volume puisse être un peu développé. Il donne au Comte Ory un timbre homogène et lumineux sur l’ensemble de sa tessiture de ténor, l’émission étant claire et saine. L’investissement scénique témoigne de qualités d’acteur.
Laura Aranda, mezzo-soprano, interprète le rôle travesti d’Isolier avec beaucoup d’assurance dramatique et d’aisance vocale alors qu’elle sort pourtant d’une opération chirurgicale qui ne semble pas avoir été préjudiciable à sa prestation. La voix forte et bien placée, d’une puissance remarquée, lui permet de compléter l’incarnation d’un personnage bien planté sous l’angle théâtral. Ses duos avec Ory sont en outre très harmonieux dans le mariage des deux timbres. Le personnage de Ragonde est chanté par la mezzo-soprano Monica Koggionis. Convaincante par un jeu théâtral appréciable, elle l’est également dans son interprétation vocale. Son timbre est chaud, remplis de médiums pleins et mordorés, et ses envolées sont maîtrisées avec délicatesse et la puissance nécessaire. La jeune soprano vénézuélienne Yessica Fernández, qui possède d’impressionnantes prédispositions vocales, est peut-être la révélation de la soirée. Sa voix, haute et claire, présente un timbre d’une pureté limpide et soyeuse capable de nuances dentelées dans le phrasé. Les vocalises sont aisées et les aigus assurés sans difficultés, laissant présager de belles capacités en devenir.
La voix de basse de Lucas Miño, forte et saine par l’émission et présentant un vibrato équilibré, lui permet d’aborder le rôle du Gouverneur avec sérénité, d’autant que son jeu d’acteur est seyant. Raimbaud est chanté par le baryton Esteban Miotto dont la voix, pourtant stable et agréable, manque toutefois un peu de volume. Elle est, de fait, parfois couverte par l’orchestre. Sa présence scénique, juste et soignée, compense ses désagréments ponctuels. Gabriela Morales assume avec pertinence le rôle de la paysanne Alice tandis que le chœur chante avec application et s’investit dans son rôle dramatique.
L’ambition permet à un public différent, venu assez nombreux, d’accéder à un style musical auquel il n’est sans doute pas vraiment accoutumé. C’est sans doute là le grand intérêt de cette soirée qui voit également un jeune plateau vocal confronté à un répertoire exigeant et ambitieux. En applaudissant chaleureusement le spectacle, le public, d’ailleurs, ne s’y trompe pas. Dès lors, et à partir du moment où le contrat avec ce grand public est rempli, mélomanes et spécialistes sont-ils encore en droit, surtout dans un pays hispanophone, de regretter que la diction de la langue française soit très insuffisamment maîtrisée pour l’ensemble des chanteurs présents en scène ?