Un requiem allemand par Aedes et Les Siècles aux Rencontres Musicales de Vézelay
En introduction, une pièce brève de Wolfgang Rihm (compositeur né en 1952 et mis récemment en haut de l'affiche par son opéra Jakob Lenz, de l'Athénée au Festival d'Aix-en-Provence) Mit geschlossenem Mund [chanté a bocca chiusa-à bouche fermée], très intimiste, sonne comme une mise en bouche et en onde du lieu. En complément d’introduction, retournant vers le romantisme, la soprano Axelle Fanyo exécute un des Rückert Lieder de Gustav Mahler, "Ich bin der Welt abhanden gekommen", qui précède donc ce soir un Requiem mais dont le texte pourrait résonner comme une suite de la Messe des morts de Brahms (elle aussi en allemand et non pas dans le latin traditionnel) : « Je suis mort au monde et à son tumulte et je repose dans un coin tranquille. Je vis solitaire dans mon ciel, dans mon amour, dans mon chant ». La prestation de la soliste est bien révélatrice de la suite du concert, la voix est séduisante, claire, avec un velouté et un vibrato serré, mais elle peine à se déployer dans l’espace de la Basilique, et à fusionner en restant toujours audible avec l’orchestre pour la conclusion du Lied. Elle reviendra (dans la 5ème section) avec la sérénité d'une promesse de consolation chassant la tristesse.
Le chœur et l'orchestre, de même, annoncent la couleur dès les deux premières sections de la pièce maîtresse au programme (Un requiem allemand) : un caractère méditatif puis varié, assumé sans faille technique par les musiciens et chanteurs, le chœur étant néanmoins un peu déséquilibré dans les aigus. Les effectifs d'Aedes (doublés, à 32 pour l'occasion) sont en effet fortement sollicités : certes, l'œuvre de Brahms n'est pas donnée ici dans sa version pour orchestre symphonique, mais pas non plus dans celle pour deux pianos (l'autre laissée par Brahms à la postérité). Le choix -intermédiaire en terme de dimensions- s'est ici porté sur l'arrangement réalisé par Johannes Linckelmann en 2010.
Toutefois, l’orchestre assez fougueux part sur une forte nuance et ne parvient donc pas à ménager les crescendi. C'est l'entrée du baryton solo dans la troisième section, en alternance avec le chœur, qui revient à une méditation sur la ténuité, la vanité de la vie et la confiance en Dieu : Julien van Mellaerts propose ainsi une version lucide, avec une voix bien timbrée, claire, très projetée qui s’articule efficacement avec les phalanges chorales ponctuant ses imprécations. De même pour illustrer mort et résurrection (aux accents évoquant parfois le Requiem de Verdi), englouties au son de la trompette ultime, puis resurgissant dans la louange sereine due au Seigneur.
Le déchaînement choral, aussi intense que les apaisements des tourments promis par l’entrée dans les demeures de la maison du Père consolateur, confirment le soin global et constant de l'exécution, une direction solide au point de refréner d'éventuelles passions expressives, mais pas au point de refréner le public enthousiaste, qui obtient en rappel un choral harmonisé par Brahms et qui réunit chanteurs et instrumentistes (chantant donc) dans un beau moment de concorde a cappella.