Le Festival International de Colmar rend hommage à Claudio Abbado
Après Evgeny Kissin l’année dernière, la 31ème édition du Festival rend hommage à Claudio Abbado. Le choix de Vladimir Spivakov s’est porté sur le chef italien (1933-2014) car le festival met en relief les grands noms du monde musical qui apportent ou ont apporté, en plus de leur talent, une part importante d’altruisme. Claudio Abbado, qui savait descendre de la scène de La Scala pour ouvrir la musique classique à des publics moins favorisés ou connaisseurs, était de ceux-là. Le concert offert par Vladimir Spivakov et l’Orchestre national philharmonique de Russie sous les arcades de l’élégante église Saint-Matthieu propose de ce fait, entre autres, pléthore de grands airs d'opéras que le maestro a dirigés.
Deux Leonora ouvrent et ferment le concert. Sur l’air de celle de La Force du destin, « Pace, pace », le timbre de la soprano abkhaze Hibla Gerzmava se projette vers des aigus déchirants ou sur la douceur d’un luxueux velours. En osmose avec le texte, « fatalità » résonne avec résignation. Le vibrato arrive à point nommé sur les aigus les plus hauts, et l’air est achevé le poing levé. Pour la Leonora du Trouvère, le « Miserere » final trouve le rythme, la fougue adéquate ou se fait rossignol par des trilles délicats. Les aigus, toujours sûrs, suscitent par moments des murmures admiratifs dans le public. Comme l'année dernière en ce même festival et avec ce chef, la chanteuse allie l'émotion avec la technique, l'articulation et le déploiement : autant de qualités qui font d'elle une habituée de Bastille (et de nos colonnes : avec Don Carlos, puis Le Trouvère par deux fois cette saison).
Tournée vers le premier violon et dialoguant avec l’instrument, embrassant du regard le chef, levant souvent les yeux au ciel, Hibla Gerzmava ne donne pas simplement une version de concert mais une intention scénique par le soin qu’elle apporte à l’incarnation de chaque personnage. Le tempo assez rapide de Casta Diva dénature quelque peu Norma, mais pour Desdemona, « Mi parea » entraîne une montée acrobatique assumée. L’Ave Maria s’achève, comme souvent avec cet air, sur un bref recueillement du public avant que les bravi n’éclatent. Caché parmi l’orchestre derrière l’un des piliers de l’église comme Le Trouvère prisonnier, le ténor Alexey Neklyudov, pour sa seule intervention, offre la chaleur nécessaire à la ligne comme au rôle. Lui aussi revient comme l'année dernière avec ses très délicats piani, un peu trop face à la richesse orchestrale.
En intermède aux airs, les Variations pour clarinette et orchestre sur les thèmes de Rigoletto composées par Luigi Bassi (1833-1871), clarinettiste à La Scala, poursuivent l’hommage à Claudio Abbado, d’autant que l’instrumentiste Andrei Mikhailovski incarne son discours avec dextérité et virtuosité, virevoltant ou régalien, ovationné.
L’Orchestre national philharmonique de Russie construit l’harmonie en conservant, sous la baguette de Vladimir Spivakov, l’individualité et la couleur propres à chaque famille d’instruments. Les cordes rivalisent avec le vibrato vocal de la chanteuse et l’ouverture de La Force du destin, martiale puis solaire, ralentit sur quelques tempi, permettant une intensité d’autant plus éclatante dans les passages fougueux.
Les très nombreux bouquets reçus par la soliste et par le chef témoignent de l’admiration parmi l’assistance, en particulier des nombreux russophones présents qui laissent éclater leur enthousiasme.