Symphonie n°5 et Kindertotenlieder de Mahler, poursuite du "projet fou" d’Alexandre Bloch au Festival de Saint-Denis
Interpréter l’intégrale des symphonies de Mahler dans leur ordre chronologique, tel est le « projet fou » du jeune chef Alexandre Bloch, Directeur musical de l’Orchestre National de Lille. Commencée en janvier au Bateau Feu de Dunkerque, l’aventure musicale se poursuit à la Basilique de Saint-Denis pour une cinquième étape. Composée dans une période faste (professionnelle et personnelle), cette œuvre demeure cependant l'une des musiques les plus sombres du compositeur viennois et partage son caractère funèbre avec les Kindertotenlieder interprétés ce soir par le baryton allemand Benjamin Appl. « Ce qu’expriment ces Lieder est d’une telle tristesse que j’ai souffert de devoir les composer et que je souffre pour ceux qui devront les entendre ! »
Le jeune baryton, disciple de Dietrich Fischer-Dieskau aux allures juvéniles et cinématographiques, est un récitaliste établi qui propose une interprétation très nuancée des numéros 1, 2, et 5 de l’opus de Mahler. La voix est ronde et suffisamment résonante en regard de l’orchestre fourni. L’art de la déclamation du chanteur permet moult subtilités sur les mots des poèmes de Friedrich Rückert. Il pallie une certaine perte de brillance dans le grave, notamment dans In diesem Wetter, in diesem Braus (En ce temps, en ce tumulte) très projeté, en s’appuyant sur les consonnes, gardant ainsi l’intensité du désespoir d’avoir perdu son enfant. Son phrasé ample et soutenu prend par instants un caractère viennois, opérant de légers glissements entre les notes, gardant toutefois une conduite dans un souffle long. Il offre de très belles nuances piano en voix mixte, révélant une grande délicatesse d’émission, nuance qu’il peut moduler à volonté afin de déployer le phrasé Mahlérien.
L’Orchestre National de Lille dirigé par Alexandre Bloch, tourné vers le chanteur, le suit au plus près, indiquant le phrasé de gestes amples quelque peu agités. Cette apparente agitation insuffle dans la Symphonie n°5 un élan et une intensité sans cesse renouvelée. Les bras tenus très haut, le chef va chercher chaque pupitre, poussant les instrumentistes dans leurs retranchements, proposant un phrasé généreux agrémenté d’inflexions subtiles. Les instrumentistes s’appuient et répondent au mieux à cette sollicitation : ainsi, la trompette du premier mouvement s’adapte-t-elle progressivement à l’acoustique de la Basilique pour lancer ses appels auxquels s’oppose la nostalgie des cordes dans un tempo soutenu par le chef, celui-ci maintenant la vigueur dans le déchaînement du deuxième mouvement pour ensuite faire place au chant des violoncelles dans l'harmonie du son d’ensemble. Le corniste solo se lève pour le scherzo foisonnant parsemé de fulgurances orchestrales. C’est à mains nues que le maestro dirige l’adagietto, sculptant la matière sonore des cordes dans un son d’une grande tendresse en évolution constante. Sa battue anticipée et précise favorise une cohésion collective, soulevant la force orchestrale vers des sommets passionnés.
Après avoir fait saluer les instrumentistes, le chef reçoit les applaudissements chaleureux du public, transporté lui aussi par la passion de cette symphonie aux mille couleurs.