Mahler par Myung-Whun Chung : Symphonie Résurrection au Festival de Saint-Denis
« Myung-Whun Chung est de retour à Saint-Denis ! » (comme l'annonce le programme du Festival) dans une interprétation sensible et inspirée de l’œuvre monumentale de Mahler (cinq mouvements pour orchestre, chœur et deux solistes) qu’il connait sur le bout de la baguette, la dirigeant par cœur. C’est en terrain connu que le Maestro Chung opère son retour : en 1997, il dirigeait in loco cette même symphonie et il fut directeur artistique de ce chœur & orchestre durant quinze ans (de 2000 à 2015).
Sans exagération aucune et avec même une certaine sérénité, le chef coréen aborde ces pages musicales très contrastées traitant de la vie, de la mort et de la résurrection. La grande marche funèbre du premier mouvement est ponctuée de déchainements tumultueux que le maestro contrôle avec des gestes précis et arrêtés. Le Ländler (danse traditionnelle) chantant et réconfortant du deuxième mouvement est dirigé dans une grande économie de mouvements que les instrumentistes attentifs suivent au plus près. L’acoustique très réverbérante de l’immense nef de la Basilique de Saint-Denis n’est sans doute pas idéale pour la virtuosité du scherzo, tantôt angélique tantôt sarcastique, interprété dans un tempo soutenu, mais elle convient pleinement au temps suspendu du quatrième mouvement, Urlicht, tel un choral apaisé, chanté par la contralto et préfigurant l’issue : « Je viens de Dieu et veux retourner à Dieu. »
C’est encore dans la gestion des silences et des enchaînements que le chef se distingue. Il respecte le vœu de Mahler d’observer une longue pause après le bouillonnant premier mouvement et fait débuter Urlicht (Lumière originelle) dans la résonance du scherzo. Les subtils tuilages sonores sont saisissants, les solistes fondent leurs voix dans celle du chœur avant d’émerger. Les crescendi sont conduits, les fulgurances orchestrales viennent du silence et y retournent en opérant des résurrections musicales captivantes.
Toujours dans un souci de continuité, les deux solistes prennent leur place durant la fin du scherzo et la voix contralto de Claudia Huckle apparaît dans toute sa rondeur réconfortante accompagnée par une lointaine fanfare. Elle évoque le ciel ou le Bon Dieu avec beaucoup de douceur, atténuant ses aigus dans les phrases ascendantes par un legato très viennois. La voix charnue et sonore s’impose lorsque le Lied (extrait parmi Des Knaben Wundernhorn) suggère une impossibilité d'accéder au royaume des cieux « Ach nein! Ich liess mich nicht abweisen! » (Mais non ! je ne me laisserai pas repousser !) Son timbre chaleureux s’orne d’un vibrato expressif qui participe à l’envol final aux côtés de la soprano Lucy Crowe. Cette dernière s’investit vocalement et physiquement lors de ses courtes interventions. Sa voix fine, manquant parfois de présence dans le bas de la tessiture, se développe cependant dans des envolées lyriques vers des aigus assurés tantôt projetés tantôt retenus. Elle sait rendre l’intensité lorsqu’elle dialogue avec la contralto et c’est emplies d’enthousiasme que les deux solistes joignent leur voix au chœur dans l’hymne final.
Bien que n’intervenant que dans la deuxième partie du cinquième mouvement le Chœur de Radio France impressionne par ses nuances extrêmes. Se levant sur un coup de timbale c’est dans un murmure pénétrant qu’il annonce la résurrection. Il participe au crescendo de l’hymne final parvenant à un son ample, au point de n'être nullement couvert par le fortissimo orchestral ponctué de timbales, cloches et cymbales.
Le public venu en nombre pour cette nouvelle « Résurrection », emplissant la nef centrale, les bas côtés (la visibilité rendue possible grâce à des écrans) et également le parvis de la basilique (des transats mis à disposition permettent de suivre le concert sur un écran géant), acclame les artistes et c’est humblement que Myung-Whun Chung reçoit l’ovation.