Rigoletto de Verdi referme la saison lyrique à l’Opéra de Massy
Cette production itinérante, après sa création à Monte-Carlo en 2011 par le directeur des lieux (Jean-Louis Grinda) et suite aux passages par Antibes en 2014 et Trieste en 2016, arrive sur la scène de l’Opéra massicois. Le spectacle proposé pour deux dates est porté par une nouvelle distribution, excepté Stefano Meo dans le rôle-titre.
Dès l’ouverture orchestrale qui annonce le thème fatidique, le Duc de Mantoue embrasse ici ses deux fils qui s’apprêtent à aller au lit, avant de passer à la fête suite au lever du rideau. Ce passage de la sphère privée à la sphère publique (et inversement) est encore plus accentué avec le personnage bouffon de Rigoletto qui est tantôt dans son costume de fou avec bonnet aux grelots et marotte (bâton de fou), tantôt en habit civil sans la bosse, sa marque de reconnaissance. La mise en scène met ainsi en avant le côté humain par cet aperçu de l'intimité et l'anonymat des deux personnages qui n'ont pas de véritables noms (le Duc et Rigoletto). La fête/bal masqué dans la cour de Mantoue, a lieu dans un salon boisé. Un grand lustre surplombe les interprètes et figurants, renforçant la dimension de l’exubérance (femmes aux torses nus, paravent avec des tableaux de muses). Un mur côté jardin laisse un passage/entrée sur la salle, et investit l'espace au point que les personnages sont condensés. Si la variété des costumes provoque d'abord surprise et confusion, l’époque de l’intrigue transposée au 19ème siècle se précise mais sans références politiques. La deuxième scène (maison de Gilda) est délimitée entre l’espace domestique (privé) et celui de la rue (public) avec la maquette de Mantoue au fond. Le volume spatial devient encore plus réduit au troisième acte qui se déroule dans une cabane en bois ajourée au bord d’un fleuve (noir), permettant une transparence et la perméabilité entre les différentes scènes et personnages dont les destins s’entrecroisent.
Le baryton italien Stefano Meo (Rigoletto) porte une voix puissante aux couleurs sombres qui s’épanouit pleinement dans le cadre de sa tessiture, où il chante avec aisance et naturel, visibles aussi dans son jeu d’acteur. Si sa voix de poitrine résonne amplement en forte (surtout pendant la vendetta), son fausset souffre d’une légère aigreur et les notes tenues sont émaillées d’un vibrato parfois démesuré. Dramatiquement, il montre plusieurs facettes avec un jeu qui manque toutefois de conviction. Nonobstant, dans Cortigiani, vil razza dannata (dénonçant les courtisans) au tempo fougueux, il se révèle un père plein d’émotion et de compassion pour sa fille, ce qui soulève les applaudissements du public.
Amélie Robins, qui a déjà chanté le rôle de la Comtesse Ceprano en 2017 aux Chorégies d’Orange (où Grinda est également directeur), incarne cette fois Gilda à la place de Zuzana Marková initialement annoncée. Dans sa première apparence scénique en duo avec son père, elle se révèle mal assurée et en déséquilibre dans le volume sonore à côté de son collègue. Elle gagne en confiance dans la deuxième partie et déploie son timbre lumineux de colorature. Elle parcourt les passages sautillants et aigus avec justesse, mais pas toujours en précision rythmique par rapport à l’orchestre. Le crescendo dans son interprétation atteint son apothéose lorsqu’elle fait ses adieux au monde, en douceur et élégance.
Julien Dran (également annoncé en prise de rôle et qui chantait pour sa part le rôle de Matteo Borsa à Bastille) incarne le Duc de Mantoue. Ce ténor à la saveur italianisante montre son travail attentif sur les détails, notamment la prononciation du texte et l'articulation des notes. Il tend à faire des ralentis de tempo typiquement belcanto, sans pourtant rajouter des aigus -geste traditionnel dans le répertoire italien. Il manque parfois de force dans les sommets de l'ambitus, mais reste plutôt persuasif dans sa prestation scénique.
Sparafucile, par la basse Patrick Bolleire, est un mercenaire corpulent aux expressions faciales menaçantes, avec une bonne projection sonore, mais dont le timbre reste toutefois éloigné de la noirceur nécessaire. Sa sœur Maddalena (Sarah Laulan) semble flotter vocalement entre les aigus et les graves, entre le parler et chanter. Dans la scène du quatuor (Bella figlia dell'amore), elle ne parvient pas à se distinguer, son chant étant un peu relâché et manquant de soutien. En revanche, elle s’entend bien avec la fosse dans la scène de la tempête qui précède le meurtre. Monterone (Alexandre Dalezan) arbore une sonorité ronde et robuste, qui mincit dans les aigus, alors que son collègue Gilen Goicoechea en Marullo dévoile son instrument puissant qui remplit la salle, chaque note étant bien tenue et articulée.
Le chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra peine beaucoup à synchroniser le plateau et la fosse, surtout dans le rapport avec le chœur où les décalages rythmiques sont les plus évidents. L’Orchestre de l’Opéra de Massy révèle pourtant sa richesse de couleurs et la force des cuivres qui parfois couvrent les autres sections, particulièrement à la fin du premier et troisième acte (Maledizione !) lors de la ligne descendante rythmée dans les bois et cordes. La salle salue chaleureusement les artistes, réservant un accueil particulier aux rôles principaux.