La Damnation de Faust superlative à Strasbourg
En avril 2017, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et le chef américain John Nelson s’associaient pour représenter en version concert cet ouvrage titanesque que sont Les Troyens dans le cadre d’un vaste hommage à Hector Berlioz. L’enregistrement paru chez Erato Warner Classics avait été couronné par de nombreux prix prestigieux. Il comportait il est vrai un ensemble de solistes de premier plan, dont plusieurs se trouvent de nouveau réunis pour cette Damnation de Faust : Joyce DiDonato (Marguerite), Michael Spyres (Faust), Nicolas Courjal (Méphitophélès), auxquels est venu se joindre Alexandre Duhamel pour la partie de Brander.
Restant debout durant toute la représentation, sans jamais prendre appui sur la partition, Michael Spyres livre une prestation enveloppante, toute gorgée d’émotion et d’une sincérité absolue. Dès les premières mesures dévolues à Faust « Le vieil hiver a fait place au printemps », le personnage apparait habité, traversé de fortes contradictions, fragile et romantique à la fois. Sa voix de ténor immédiatement posée, claire de timbre, s’élève avec facilité, déploie des sortilèges dans les nuances et s’appuie sur un legato souverain. Cette souplesse d’émission qui s’affirme dans les aigus mixés et la diction nette, toujours précise, ajoute à la crédibilité du personnage. Michael Spyres brûle assurément « d’une ardente flamme » ce qui lui joue cependant des tours lors de la seconde partie du concert. Une certaine fatigue se fait dès lors percevoir, la justesse échappant à son attention, l’aigu paraissant soudain fragilisé, notamment lors du duo d’amour avec Marguerite. L’invocation à la nature passe mieux mais paraît tout de même sous tension. Cet artiste si attachant et précieux se laisse gagner par sa propre émotion et par un investissement intime qui pourrait être mieux maîtrisé sans pour autant que la prestation d’ensemble n’en pâtisse.
Joyce DiDonato a abordé le rôle de Marguerite de La Damnation au Festival de Pâques de Baden-Baden sous la direction de Sir Simon Rattle il y a 4 ans. Son chant sensuel et solide sur toute la tessiture, d’une clarté affirmée, apparaît constamment expressif, mais un rien formaté par rapport au naturel de son partenaire. Elle brille de façon irrésistible dans la ballade du Roi de Thulé (avec l’accompagnement d’un altiste hors pair, Benjamin Boura) et plus encore dans son deuxième air D’amour l’ardente flamme, mais le grain demeure un rien uniforme et l’introspection ici attendue par la variété des couleurs ou des inflexions, n’apparaît guère comme source principale d’inspiration. Pour autant, la cantatrice force le respect et exerce même une certaine fascination.
Nicolas Courjal (qui nous confiait en interview commencer à s'amuser dans les rôles qui lui sont proposés) fréquente le rôle de Méphistophélès depuis un bon moment déjà. Entre dérision et persiflage, franche méchanceté et esprit carnassier, il offre une vision du diable très personnelle qui se rapproche assurément d’une certaine tradition française. La voix sonne toujours dans le rôle, avec ses appuis sombres et mordants, sa vivacité expressive, ses éclats. L’aigu marque quelquefois un peu le pas et pourrait certainement se libérer.
Distribuer Alexandre Duhamel en Brander frôle le luxe. Son baryton sonore et franc d’émission donne une consistance nouvelle à ce rôle bref mais difficile. Il s’en tire avec panache et honneur.
L’acoustique de la Salle Erasme montre, comme au moment des Troyens, ses limites que l’enregistrement effectué pour Erato Warners Classics viendra obligatoirement corriger. Le son de l’orchestre frappe à certains moments trop fort, comme lors du final de la deuxième partie où les voix des deux solistes masculins se trouvent totalement couvertes. La direction musicale de John Nelson à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg est, il est vrai, placée sous le signe de l’enthousiasme et de l’admiration inconditionnelle portée au compositeur. La Marche Hongroise ou le vaste Epilogue portés à leur paroxysme feraient fondre de bonheur n’importe quel auditeur, tandis que le Menuet des follets plonge aux profondeurs de l’impalpable. La vision d’ensemble laisse la place tant aux déploiements les plus fastueux qu’aux nuances les plus inspirées.
Le Chœur Gulbenkian, dirigé par Jorge Matta, s’impose par une musicalité jamais prise en faute et une attention constante à la ligne, bien qu'un léger accent marque sa prestation. Les Petits chanteurs de Strasbourg-Maîtrise de l'Opéra national du Rhin interviennent durant l’Epilogue depuis la salle, créant par la finesse de leur intervention un environnement sonore particulièrement bouleversant.
La publication de la prochaine saison de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dévoilera la suite de la collaboration de cette phalange avec John Nelson autour de Berlioz.