Dans une semaine hautement sacrée en abondances musicales, la Chapelle Royale de Versailles programme sa Passion dès le Mercredi Saint (le Stabat Mater de Pergolèse étant programmé le Vendredi Saint, dont il relate lui aussi les événements). Tant en raison des dimensions de la Chapelle que par choix esthétique, Jordi Savall opte pour un ensemble instrumental et vocal mesuré. Bien que les voix des choristes résonnent dans l’espace de la Chapelle, particulièrement en tutti, certains numéros d’une grande force dramatique ont toutefois un poids sonore restreint (c'est le cas de Sind Blitze, sind Donner—Les éclairs et le tonnerre). Au grand dam de la dramaturgie choisie, la ligne de basse (uniquement deux contrebasses) se perd parfois dans la masse orchestrale, tout comme la viole de gambe de Jordi Savall lorsqu’il accompagne les solistes. Néanmoins, l’ensemble manifeste une musicalité absolue tout au long de l’œuvre, surtout dans les chorals à quatre voix ou dans les grands numéros polyphoniques qui ouvrent et concluent la Passion, soutenue par les voix angéliques d’enfants du Conservatoire de Dole (Jura). 

Le ténor allemand Florian Sievers est un Évangéliste sérieux, un conteur à la prononciation soignée. Il articule scrupuleusement chaque mot, le coloriant avec émotion et lyrisme. Dans les récitatifs doux ou agités (le procès et l’annonce de la crucifixion), son intonation rythmée est toujours en place même lorsqu’il se lève en un sursaut énergique de sa chaise pour reprendre sa partie. Une légère gêne survient dans ses quelques aigus de fausset, mais son interprétation souveraine reste le pilier du plateau vocal. Le baryton Matthias Winckhler est un Jésus au timbre rond et dramatique. Il déploie sa musicalité en élégance et douceur dans les récitatifs et ariosos, avec le ton réconfortant d’un berger qui berce ses brebis avant la tempête. 

Le contre-ténor Nils Wanderer qui interprète les airs et récitatifs écrits pour alto, dévoile une clarté éclatante qui se prête bien à l’acoustique de la Chapelle. Sa précision d'intonation manque toutefois de force : il réduit le volume dans les fragments vocalement exigeants et tend à suraccentuer certaines notes (les sforzandi). Sa supplication Erbarme Dich, mein Gott (Aie pitié, mon Dieu) est très plaintive et convenable pour sa tessiture, accompagnée par un violon solo qui est toutefois éloigné de l’affection nécessaire. Sa collègue Rachel Redmond (soprano) possède une bonne projection qui atteint toute sa luminosité dans le haut registre. Cependant, les paroles chantées dans ce même registre ne sont pas tout à fait compréhensibles et la longueur de certaines phrases suscite des décalages rythmiques avec l’orchestre.

Markus Volpert (en Ponce Pilate) offre une interprétation à double-face : malgré sa prononciation correcte dans la première partie, il est rapidement à court de souffle et paraît fatigué, puis il gagne en assurance, énergie et précision bien que son vibrato produise quelquefois un son haché. Durant son peu de temps sur scène, Marc Mauillon montre une articulation du texte travaillée, se conjuguant avec sa voix polyvalente, livre un chant chargé d’expressivité et de finesse (surtout dans l'air Mache dich—Fais-toi pur). Emiliano González-Toro est un ténor d’envergure belcantiste qui donne une courte intervention de grande intensité vocale. Son homologue Juan Sancho dévoile pour sa part un son rond et clair, mais qui mâche les mots et force quelque peu les aigus. 

Enfin, deux prestations suscitent l’affection parmi le public et même les interprètes : la mezzo norvégienne Kristin Mulders, chantant avec un timbre chaleureux et des pleurs dans les yeux pour transmettre fidèlement l’atmosphère douloureuse de l’air Erbam es Gott (Pitié, Seigneur). La musicalité envoûtante, pleine de grâce et du feu vocal de Marta Mathéu émeut tout autant l’assistance avec l’air Aus Liebe (Par l’amour) et particulièrement ses collègues instrumentistes qui quasiment à l’unanimité (pour ceux qui ne jouent pas à ce moment) contemplent son interprétation les yeux fermés.