Le Freischütz prend son temps à Strasbourg
Le chef Patrick Lange, les paroles ou le sourire aux lèvres, offre une passionnante lecture musicale du Freischütz de Weber pour l’Opéra du Rhin, concrétisée par l’Orchestre Symphonique de Mulhouse. Son ouverture captivante, très théâtrale et expressive, est très cinématographique : l’auditeur perçoit un paysage lointain, peint par les traits fins des violons, sur lequel la délicate clarinette trace la ligne d’horizon. Les cors majestueux accompagnent un traveling avant qui rapproche le spectateur de la forêt dans laquelle se déroule l’action, où les gazouillements du hautbois répondent à l’inquiétant trombone. Soudain, le vrombissement des contrebasses accompagne l’arrivée du diable, matérialisée dans la mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito par un drone (transcription actuelle et réaliste des balles magiques utilisées par Max, et qui atteignent systématiquement leur cible). Le seul reproche qui peut être adressé à cette lecture musicale est la lenteur du propos, éloquente certes, mais qui pèse sur le rythme de l’opéra.
Cette torpeur, justifiable musicalement, est toutefois amplifiée par la direction d’acteurs : les solistes récitent les parties parlées sur un recto tono à mi-chemin entre l’expressivité d’un robot et celle d’un enfant lisant un texte qu’il ne comprend pas. Ce choix, qui fait parfois rire le public lorsque le ton plat est à l’opposé du propos exalté, rend la lecture de l’œuvre décousue (la scène de la Gorge aux Loups perdant notamment sa puissance), et nuit au propos, intéressant, sur l’art, la guerre et la vérité. Ces questions sont notamment traitées par une esthétique à la fois réaliste (le concours de tir de la scène introductive est ici un jeu de paintball), naïve (la vérité est enfant de l’imagination, explique le programme) et figurative, exprimée par des costumes et décors (changés à vue par des techniciens visibles, y compris durant le déroulement de l’intrigue) de Nina von Mechow.
Lenneke Ruiten chante le rôle d’Agathe d’une voix tranchante au timbre pur, vibrant avec intensité, et dont l’aigu souffre d’aspérités lorsqu’il est forcé, tandis que les graves ont un timbre un peu blanc. Sa richesse expressive se retrouve dans son jeu de nuances, fait d’allègements, d’émancipations et d’assouplissements, mais aussi dans son vibrato maîtrisé, qu’elle appuie ou relâche au gré de l’évolution psychologique de son personnage : ses airs mettent en valeur la douceur et la musicalité de sa ligne vocale. Sa complémentarité est complète avec l’Ännchen de Josefin Feiler au timbre voluptueux et à la projection concentrée, mutine dans son jeu théâtral.
Dans le rôle de Max, Jussi Myllys tient une voix franche et rayonnante, dont l’aigu, pourtant souvent mobilisé, reste sur la brèche. Sa prosodie engagée apporte de l’émotion à ses parties chantées. David Steffens est un Kaspar puissant au timbre brillant. Son phrasé expressif participe de l’autorité vocale dégagée. Il sait toutefois assouplir sa voix pour se réjouir avec ironie de la chute à venir de son ami Max. Le surjeu demandé à Jean-Christophe Fillol en Kilian ne le met malheureusement pas en valeur, alors même que sa voix saine de baryton-basse est parfaitement projetée, son timbre laissant même entendre une pointe d’ironie. Le Kuno de Franck van Hove aux graves saillants se distingue par une voix noble, bien émise. Arrivant à la fin de l’œuvre, Roman Polisadov délivre une voix gigantesque et profonde en Ermite, tandis qu’Ashley David Prewett est un Ottokar véloce et souple, au timbre mat porté par un vibrato léger.
Le Chœur de l’OnR dispose des nuances requises (finesse ou puissance selon les passages) et d’une belle homogénéité (même si le chœur des chasseurs manque de basses) mais souffre d’une constante désynchronisation rythmique (sauf lorsqu’il est demandé aux artistes de faire des pompes et des sauts en chantant).
Le public accueille les artistes avec mesure au moment des saluts, quelques huées s’élevant même au passage de l’équipe de mise en scène.