Schubertiade par l’Académie à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
Certains Lieder choisis figurent parmi les pages les plus célèbres et célébrées de Schubert : Gretchen am Spinnrade (Marguerite au rouet), Ständchen (Sérénade), Nacht und Traüme (Nuit et rêves), auxquels se joint l’Andante du Trio n° 2, rendu célèbre grâce au film Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Le programme permet également d’entendre des pièces plus rares, tout aussi profondes et intenses.
Chaque chanteur présente une sélection personnelle, extraite d'un cycle ou bien regroupée selon une thématique représentative de l’univers de Schubert. Le ténor Maciej Kwaśnikowski interprète ainsi quatre Lieder extraits parmi Die Schöne Mullerin (La belle meunière), la mezzo-soprano Jeanne Ireland explore les Lieder ayant trait à la nuit, la soprano Angélique Boudeville opte pour le thème de l’amour et Alexander York celui du voyageur. Ce dernier thème se retrouve également dans le mouvement lent du Trio n°2, avec sa marche à l’esprit funèbre scandée par les instrumentistes Misa Mamiya au violon, Hsing-Han Tsai au violoncelle et Benjamin d’Anfray au piano. Ce dernier se joint également à chaque chanteur et, passant de voix en voix, demeure un véritable interlocuteur assurant la cohérence entre toutes ces personnalités musicales.
Les quatre artistes, déjà remarqués grâce à l'Académie dans les champs du concert, de l’opéra et de l'opérette, se confrontent de nouveau à l’exercice du récital dans un grand sérieux et une réelle exigence. Maciej Kwaśnikowski sait choisir quatre extraits de La belle meunière convenant à sa vaillance vocale. Son timbre clair et lumineux délivre précisément les poèmes de Wilhelm Müller et, bien que lisant la partition, son engagement demeure très extériorisé. C’est l’impatience du meunier qu’il met en relief, optant pour des tempi allants, une nuance soutenue et de très courtes suspensions, le tout culminant sur « Dein ist mein Herz » de Ungeduld (Mon cœur est à toi dans Impatience) projeté à pleine voix.
Angélique Boudeville assume pleinement le dramatisme intense de Die junge Nonne et de Gretchen am Spinnrade et, sans support de partition, elle incarne ces deux héroïnes en proie à un tourment dévastateur. Son interprétation évoque le conflit intérieur de la jeune nonne en voix soufflée, gagnant en timbre progressivement jusqu’à l’Alleluia final. Marguerite au rouet est immédiatement chanté à pleine voix, et bien que les nuances soient peu audibles, elle convainc par un engagement touchant et des aigus d’une précision et d’une rondeur époustouflantes (magnifique « Kuss »).
Jeanne Ireland associe son timbre lumineux au thème nocturne des quatre Lieder choisis. Sa voix claire rutile avec l’étoile du premier Lied (Der liebliche Stern) et offre de belles couleurs dans Nachtstück, osant des sons détimbrés et des instants plus lyriques. Avec une grande maîtrise du souffle elle déploie les longues phrases planantes de Nacht und Träume, sa voix scintillant de pair avec la partie de piano.
Alexander York sait moduler son timbre riche et précis en jouant avec les harmoniques graves et aiguës en fonction des intentions du texte. Dans Der Wanderer, le questionnement du voyageur sur le but de son errance est émis en voix allégée et les éléments déchaînés rencontrés au cours du voyage parviennent soutenus par des graves profonds toujours timbrés. Cependant, c’est avec Der Musensohn (Le fils des Muses), un des seuls Lieder totalement optimiste de Schubert, que l’artiste s’épanouit pleinement, y exprimant la fougue de sa jeunesse, d’une voix brillante dans un beau sourire.
Le récital s’achève avec le solennel An die Sonne (Au soleil), réunissant les quatre artistes lyriques dans un son d’ensemble homogène et précis. Le public, ne pouvant s’empêcher de manifester son enthousiasme après chaque Lied, acclame une dernière fois chaleureusement ces jeunes espoirs.