Capriccio convainc les indécis à l'Opéra de Paris
Emily Magee incarne la Comtesse Madeleine © Vincent Pontet / OnP
Robert Carsen revient à l'Opera national de Paris avec Capriccio. Le metteur en scène passé maître dans l'art de la mise en abyme y rencontre l'opéra dans l'opéra, et la sempiternelle question de l'hégémonie de la musique sur le texte, dans cette « conversation en musique » de Strauss. Douze ans après sa création, sa mise en scène ne pâlit pas. Surchargée mais efficace, intelligente sans être brillante, construite avec les décors de Michael Levine, celle-ci met en relief les doubles-fonds de ce manifeste lyrique.
Carsen choisit de transposer l'action à Paris en 1942. Douloureuse, cette année-là voit à la fois naître Capriccio à l'Opéra d'Etat de Bavière mais aussi mourir son penseur, Stefan Zweig. Juif, l'écrivain autrichien est poursuivi par le régime nazi et ne peut entrer en contact avec Strauss qui le voulait absolument comme librettiste. Désespéré par la guerre, exilé aux Etats-Unis, hanté par la vision d'un monde en pleine agonie, Zweig met fin à ses jours en février, quelques mois avant la création de Capriccio. Placer l'opéra à cette époque permet ainsi de lui rendre un bel hommage.
Sextuor initial composé par Flamand (Benjamin Bernheim) pour la Comtesse © Vincent Pontet / OnP
Sous la direction d'Ingo Metzmacher, l'Orchestre national de l'Opéra de Paris offre une merveilleuse interprétation du sextuor initial composé par Flamand, écouté depuis le public par la Comtesse d'Emily Magee -mise en abyme oblige. Le reste de la partition de Strauss est exalté avec tant de clarté et de brio, que l'on pourrait vite succomber à l'adage « prima la musica, e poi le parole ».
Adrianne Pieczonka qui devait assurer le rôle de la Comtesse Madeleine a été remplacée par l'experte du rôle Emily Magee. Maniérée dans l'émotion, sa Madeleine lourde d'indécision ne peut fatalement faire oublier Renée Fleming qui assurait la Comtesse en 2004 lors de la création du Capriccio de Carsen. La diction souffre souvent, et la voix, tendue dans les aigus, fait montre de ses limites.
De gauche à droite : Michaela Schuster, Wolfgang Koch, Lars Woldt, Lauri Vasar, Benjamin Bernheim et Emily Magee © Vincent Pontet / OnP
Le reste de la distribution est impeccable. Flamand jouit de l'expressivité vigoureuse de Benjamin Bernheim qui fait ainsi de brillants débuts à l'Opéra de Paris. Son opposé, Olivier, campé par le baryton et altiste Lauri Vasar bénéficie d'une interprétation engagée et incisive.
Mention spéciale pour Michaela Schuster, qui remplace au pied levé Daniela Sindram dans le rôle de l'actrice Clairon. L'Allemande, qui officiait déjà dans la reprise de 2012, offre une prestation vocale magistrale remplie d'esprit et d'humour. Lars Woldt campe un La Roche de très grande facture au monologue finalement bien trop court -on en redemanderait presque-, tandis que le Comte du grand wagnérien Wolfgang Koch est remarquable.
Le couple de chanteurs italiens, assuré par Chiara Skerath et Juan José de Léon, fonctionne à merveille. La jeune soprano, étoile montante à la voix terriblement agile, apporte un vent de fraîcheur et de folie à l'ensemble. C'est avec une grande hâte que nous l'attendons dans des rôles plus importants. Pour compléter le casting, n'oublions pas le génial Graham Clark en Monsieur Taupe illuminé et l'élégant Jérôme Varnier en majordome sérieux.