L’Amour et la Voix d’une femme, récital d’Emanuela Pascu à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
Afin de suggérer les multiples facettes du sentiment amoureux, les deux artistes s’appuient sur deux cycles de mélodies, La Vie et l’amour d’une femme de Schumann et Les Sept chansons de Clément Marot de George Enescu. Schumann composa ce cycle juste avant d’épouser celle qui deviendra Clara Schumann et à travers son oeuvre, il offre une sincère preuve de son amour. Les huit Lieder du cycle évoquent les différentes phases de la vie amoureuse d’une femme, de l’exaltation au désespoir, dans des pages musicales aux couleurs et aux accents variés. Variété qui parcourt également les poèmes d’amour de Clément Marot que la musique d’Enescu cisèle dans un style épuré. La mélancolie de « Languir me fais » s’intensifie dans « Du conflit en douleur », et « Aux demoiselles paresseuses d’écrire à leurs amis » adjoint une touche d’humour à cet opus. Les romances de Rachmaninov et Tchaïkovski achèvent le programme dans un grand lyrisme, exaltant la passion (« Je t’attends »), la douleur qui l’accompagne (« Seul un cœur désolé ») ainsi que l’amour et la nostalgie d’un pays lointain (« Ma belle, ne me chante plus tout bas »).
Cette nostalgie du pays, Emanuela Pascu paraît la ressentir avec Enescu, tous deux partageant leur vie entre la France et la Roumanie (la cantatrice fait partie de l’Académie de l’Opéra national de Paris) et c’est un bel hommage qu’elle rend à son compatriote en intégrant à son programme ce cycle de mélodies trop rarement donné.
Les puissantes résonances vocales d’Emanuela Pascu flattent l’oreille immédiatement et impressionnent par un volume sonore conséquent convenant particulièrement aux romances russes. La largeur de sa voix épouse les phrases amples des mélodies qu’elle interprète dans un lyrisme très extériorisé, soutenue par le piano intense de Benjamin d’Anfray. Son chant nuancé offre des aigus insolents d’éclat dans l’interpellation finale Fsjo, fsjo, dija tebja! (Tout, tout, pour toi !) , des piani intenses et vibrés afin d’exprimer la nostalgie du pays (Napominajut mne one). Pour préserver un volume constant sur toute la tessiture, elle utilise fréquemment le registre de poitrine, teintant son chant de dramatisme (Ya zhdu tebya! je t’attends!) en adéquation avec le discours poétique et musical.
Toutes ces qualités adaptées au répertoire russe le semblent moins lors de l’interprétation des Lieder de Schumann. Son volume sonore pose un problème d’équilibre avec les subtiles parties de piano, empêchant l’équité du dialogue si importante dans ce répertoire, la coloration sombre des voyelles (tous les A sont chantés Â) et les consonnes amoindries rendant le texte peu intelligible. Plus convaincante dans les envolées Er, der Herrlichste von allen (Lui, le plus magnifique de tous), que dans les propos plus intimes Seit ich ihn gesehen (Depuis que je l'ai vu), son investissement demeure cependant intact.
Les applaudissements du public, tout d’abord réservés, puis plus chaleureux après les pièces russes, explosent en ovation après le bis, l’air de Santuzza dans Cavalleria Rusticana, qu’elle prépare actuellement.
Emanuela Pascu est en ce moment à l'affiche du diptyque Iolanta/Casse-Noisette de Tchaïkovski au Palais Garnier - réservations