Les élèves du Conservatoire de Paris décollent avec Haydn pour Le Monde de la Lune
À la création du Monde de la Lune de Haydn (1777), le livret de Goldoni avait déjà été mis en musique –et il le sera de nouveau après, tant le succès du texte fut grand. Il faut dire que l’histoire du naïf Buonafede, à qui ses propres filles, aidées du "professeur" Ecclitico, font croire qu’il effectue un voyage sur la lune, est drôle et bien ficelé : Buonafede, tel M. Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme) sacré Mamamouchi ou Mustafà (L’Italienne à Alger) élevé au rang de Pappataci, est fait « Chevalier lunaire » et doit de ce fait consentir aux mariages de ses filles, auxquels il s’opposait.
La jeune équipe réunie pour cette œuvre somme toute assez rarement jouée fait montre d’un enthousiasme rafraîchissant et de qualités musicales et scéniques déjà très solides. Il s’agit du spectacle annuel proposé par l’orchestre et les élèves du département des disciplines vocales du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, qui ont ainsi la chance de se produire sur scène, devant un public, dirigés par un chef et un metteur en scène (Tito Ceccherini et Marc Paquien).
Tito Ceccherini explique dans le programme avoir bénéficié d’un temps de travail important avec les musiciens de l’orchestre et dès l’ouverture, les cordes font entendre une sonorité ronde et homogène plutôt rare chez des musiciens encore en formation, les bois déploient des couleurs chaudes, les attaques sont précises, l’orchestre se fait tantôt incisif, tantôt tendre et velouté : autant de qualités qui se manifestent tout au long de la soirée, sous la baguette preste, dynamique et précise d’un chef constamment attentif aux différents pupitres et aux chanteurs.
La mise en scène de Marc Paquien est drôle et inventive : la direction d’acteurs, visiblement très travaillée, permet aux jeunes d’évoluer avec aisance et naturel dans un décor simple auquel quelques projections donnent une profondeur bienvenue : notamment des images de la lune (sans doute, au second acte, aurait-il été plus judicieux de projeter une image de la Terre, les personnages faisant croire à Buonafede le bien nommé qu’il se trouve sur la lune !) et quelques extraits amusants du Voyage dans la lune de Méliès.
Le choix de l’opéra de Haydn est particulièrement judicieux (l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris et le metteur en scène David Lescot avaient fait le même en 2013) en ceci qu’il s’agit d’une œuvre exigeante, assez longue, comportant ce qu’il faut de difficultés pour mettre en valeur les possibilités des interprètes sans non plus les mettre inutilement en danger. Edwin Fardini, en benêt facile à duper, fait montre de son aisance scénique et même d’un certain abattage. La voix saine, bien placée, avec notamment des graves profonds et sonores, correspond au profil vocal du rôle. Reste à soigner l’homogénéité des registres. Riccardo Romeo joue le charlatan Ecclitico, auquel il prête son timbre un peu nasal et métallique, qu’il sait adoucir cependant pour le beau duo du dernier acte « Un petit ruisseau ondoie en moi… ». Lise Nougier incarne Ernesto avec goût (un legato soigné dans l’air « Begli occhi vezzosi »), mais aussi une certaine réserve (la projection de la voix notamment reste encore un peu timide), qui tombera certainement avec plus de pratique scénique.
Les deux filles de Buonafede remportent un beau succès : Mariamielle Lamagat (Clarice) fait entendre un timbre rond, fruité, et soigne particulièrement la ligne vocale. Makeda Monnet (Flaminia) possède quant à elle une voix extrêmement homogène, jusque dans les graves qui ne subissent aucune altération en terme de qualité et d’intensité. Elle délivre par ailleurs quelques vocalises délicatement ciselées, et des sauts de registre assurés. Autant de qualités qui sont aussi celles de Fiordiligi -peut-être dans quelques années ? Le couple de valets, Cecco et Lisette, est incarné respectivement par Kaëlig Boché et Brenda Poupard. Après un début un peu timide, la voix du ténor gagne en assurance au second acte, avec un air (« Un avaro suda e pena ») maîtrisé – le chanteur se faisant sopraniste le temps d’un aigu étonnant à pleine voix ! Si le chant de la mezzo peut encore gagner en souplesse et en délié, la technique est déjà aguerrie et sa voix est colorée d’un agréable vibratello, léger et expressif.
À la fin du spectacle, les artistes sont salués avec enthousiasme par un public visiblement conscient du travail accompli –et fort satisfait de la qualité artistique.