Le concert déconcerte par son programme en deux parties distinctes, d'abord centré sur la musique vénitienne au cœur du 17^ème siècle puis sur des cantates du jeune Haendel (1685-1759). La première partie ne distingue pas les pièces de salon de celles destinées à la scène, le continuo et les moyens vocaux y sont semblables. Les airs d’un opéra, Statira de Francesco Cavalli (1602-1676), se mêlent aux cantates de la trop rare (et pourtant précieuse) Barbara Strozzi (1619-1677) et de Pietro Antonio Cesti (1594-1663). 

Lagrime mie de la compositrice offre un effet saisissant, d'autant plus qu'elle surgit parmi un programme dans la zone de confort de la chanteuse (et où elle plonge donc le public) avec le déploiement naturel d'une soprano qui chanterait les "soubrettes" à l'Opéra, un chant fruité, bien timbré, souple, virtuose quand nécessaire, avec un souci du texte louable et efficace. 

Les pièces de Händel convoquent alors l'ensemble de l'ambitus, ce qui lui permet d'asseoir et de déployer d'autant mieux son aigu. Les Lagrime trouvent enfin une expressivité à leur mesure chez Händel avec la cantate Lucrezia (1707), sans concession au séduisant (elle se termine par un récitatif dramatique sur le mot vendetta, vengeance). L'écriture vocale de mezzo laisse a priori craindre des difficultés mais elle révèle chez la soprano un bas medium mixé et doucement poitriné, jusqu’aux graves les plus expressifs, sans lourdeur ni vulgarité, le tout au service du texte âpre.

Le brio d'Il Pomo d’Oro déploie également les moyens expressifs, imitant le sanglot avorté pour les larmes qui refusent de couler. La variété de ces imitations est renforcée par la grande part de liberté que laissent les compositeurs, en l'occurrence la compositrice Strozzi, à ses interprètes, non seulement  dans les imitations d'affects et de la parole, mais aussi dans le rythme (ici principalement libre dans sa fougue) ainsi que la distribution des accords et ornements.

Le public salue dignement l'ensemble des artistes et leurs deux performances marquantes.