Récital de grande classe avec Alice Coote à Strasbourg
Appelée à la rescousse pour remplacer la soprano Marlis Petersen, Alice Coote propose au public de l’Opéra national du Rhin un programme savamment conçu, intitulé non sans pertinence « Songs of Life, Loss and Love ». La soirée débute ainsi avec les Vier Ernste Gesänge (Quatre chants sérieux) de Brahms, autrefois immortalisés par la grande contralto Kathleen Ferrier. Alice Coote peine cependant ce soir à trouver ses graves, et la tessiture très basse de ces Lieder ne permet pas à l’instrument, aux beaux reflets cuivrés, de s’épanouir pleinement. La voix commence à trouver son assise un peu plus tard avec quatre mélodies de Tchaïkovski, chantées avec tout le goût et toute l’émotion qui conviennent même si le défaut de tonicité dans l’articulation nuit quelque peu au pathos inhérent à ces pièces. Avec la cantate de Haydn Arianna a Naxos, accompagnée au Steinway, la grande haendélienne qu’est Alice Coote déploie toute sa science du chant et de la rhétorique baroques. Sobriété, intériorité, élégance des phrasés préparent le public pour les éclats finaux, qui mettent cependant quelque peu à mal un instrument visiblement un rien usé par tant de saisons bien remplies. La netteté et la clarté des aigus forte s’en ressentent quelque peu.

La deuxième partie du récital est de loin la plus satisfaisante pour l’auditoire. Lors du cycle consacré à Schubert, les Lieder les plus dramatiques comme « Der Zwerg » ou « Rastlose Liebe » (Le Nain ou Amour sans trêve) confirment la fatigue de la voix, mal assurée dans les élans passionnels de ces deux morceaux. « Der Tod und das Mädchen » (La Jeune Fille et la Mort) permet en revanche à Alice Coote de déployer des phrasés d’une infinie beauté au service des nuances les plus raffinées. Dans le même esprit, « Du bist die Ruh » (Tu es le repos) charme également, grâce à des colorations variées et un sens de la ligne qui emmènent le public vers les suspensions célestes.
C’est avec Mahler que s’achève le récital, choix judicieux qui convient non seulement aux possibilités vocales de l’interprète, mais également à ses choix stylistiques, visiblement portés sur la classe, l’élégance et la sobriété. Dans un tel contexte, « Um Mitternacht » (À minuit) n’a certes pas son rare dramatisme vibrant, mais les chants plus « planants » trouvent assurément en Alice Coote une interprètes idoine. « Ich atmet’ einen Linden Duft » (Je respirais un parfum de tilleul), « Liebst du um Schönheit » (Si tu aimes pour la beauté) notamment, et surtout un « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde) en état d’apesanteur, sont autant d'illuminations dans cette soirée. Alice Coote bénéficie du soutien indéfectible d’un pianiste aux petits soins, Christian Blackshaw, musicien dont l’élégance se marie idéalement avec le chant de sa récitaliste.
À
noter pour finir la
pertinence des deux bis, avec tout d’abord la célébrissime
berceuse de Brahms, destinée presque explicitement à renvoyer le
public vers ses foyers. Pour conclure la soirée, les deux artistes
auront néanmoins régalé le public, allusion non voilée à la
toute récente attaque terroriste de Strasbourg, d’un sublime
« Urlicht »
de Mahler, le solo de sa
Deuxième symphonie
donné ici dans sa version pianistique. Touché de ce bel hommage, le
public ovationne
chaleureusement la
cantatrice anglaise dont le programme si bien équilibré sera
réentendu dans le prestigieux Wigmore Hall de Londres deux jours
après le concert strasbourgeois.