Pretty baroque au Théâtre des Champs-Élysées
Clavecin, théorbe, orgue et autres instruments baroques trônent sur la scène du TCE. Sommes-nous bien au récital de Pretty Yende qui triomphe, de Paris à New York dans le répertoire du XIXe siècle ? Y'a-t-il eu un nouveau souci de programmation pour ce récital annulé et reporté ? Que nenni, l'artiste élargit son répertoire en revenant à Mozart et en remontant surtout vers Haendel, avec un ensemble baroque réputé.
Le premier violon (Andrés Gabetta qui dirige la Cappella Gabetta) lance l'orchestre d'un immense javelot d'archet. Une entrée en matière dont la grandiloquence fait sourire le public, mais dont l'investissement sincère le laisse admiratif et infuse tout le concert. D'autant que les contrastes répandus parmi l'ensemble s'équilibrent savamment. À la douceur de la guitare baroque et de l'orgue tirant vers l'harmonium répond une contrebasse plus tonnerre que notes (l'archet très haut sur la touche et très incliné en-dedans augmentant l'effet). La phalange se met bientôt au service de la virtuosité concertiste de son chef, aussi presto dans les allegro que dans les lents mouvements intermédiaires, pour Corelli comme pour Vivaldi. Ce récital instrumental baroque s'ouvre vers le classique avec Bach (car il ne s'agit pas de Jean-Sébastien mais de son 11ème et dernier fils, né en 1735, Jean-Chrétien), comme le programme vocal part de Haendel pour rejoindre Mozart.
Pretty Yende fait deux entrées spectaculaires, avant et après l'entracte, sa robe à fleurs bleues n'ayant d'égale en scintillements que son diadème, son sourire et sa seconde robe, en racines rouges. Le public s'extasie audiblement devant cette artiste visiblement flattée de se sentir so Pretty. Hélas, c'est d'abord l'inverse musicalement dans ce répertoire haendélien qui lui est inhabituel : la ligne de chant est entièrement fausse (autant que la trompette baroque, certes l'un des instruments les plus capricieux qui soient). Les notes sont chantées bien trop bas et serrées alors que les harmoniques sont trop hautes et grinçantes. Il en ira de même sur "He shall feed his flock like a sheperd" (Il nourrira son troupeau comme un berger) extrait du Messie (avec cette fois les fausses notes des cors) que sur cette Ode pour l’anniversaire de la Reine Anne. Heureusement, la voix retrouve sa force sur le Samson (toujours signé Haendel : un oratorio contemporain du Messie), comme ce personnage à la fin de l'histoire, d'autant que la trompette s'y fait plus distante et atténuée. L'air offre à la chanteuse plusieurs occasions de déployer a cappella ses vocalises agiles et charpentées, un suraigu triomphant parachevant "Their loud, uplifted angel trumpets blow" (Leurs trompettes angéliques résonnent hautes et puissantes), avec la qualité de son anglais mâtiné d'une couleur Gospel.
Le récital se referme sur une soprano emplie de belles et bonnes intentions mais qui cherche encore la justesse et comment s'ajuster à la pièce finale : Exsultate, jubilate de Mozart. Certes, ce morceau est particulier et même duel : une œuvre religieuse en latin composée pour un chanteur d'opéra (le sopraniste Venanzio Rauzzini) suite à sa prestation en Lucio Silla. Qu'importe, un ultime toboggan de vocalises parfaitement juste et délicieux emporte l'adhésion populaire. Alleluia, elle revient même avec une tablette numérique (pour partition) offrir deux bis : de nouveau Le Messie pour "Qu'ils sont beaux les pieds" (How beautiful are the feet of them that preach the gospel of peace) et de nouveau l'air de Samson.
Pretty Yende reviendra à Paris avec Don Pasquale (réservations), succédant ainsi à Nadine Sierra qui elle-même succédera à Pretty Yende puisqu'elle est à l'affiche du prochain récital Les Grandes Voix au TCE (réservations).