Edwin Fardini et Tanguy de Williencourt font deux Mahler à Royaumont
Ce concert est placé sous le signe de l'oxymore, à commencer par le terrible et sublime opus de Mahler : Kindertotenlieder (Chants sur la mort des enfants). Le piano et la voix sont à l'unisson pour composer ensemble un même oxymore : l'instrument et le chant sont tous les deux graves et poussés pour mieux s'élancer vers les aigus. L'assise est striée, les harmonies sont courtes. L'interprétation illustre le texte bouleversant avec noblesse et subtilité (la pédale du pianiste comme la paupière du chanteur battent à la mesure de la pulsation et de l'émotion).
L'impeccable ballade grave du piano au cœur du cycle (III. Wenn dein Mütterlein - Quand ta petite mère) mène vers une boite à musique par une marche funèbre avant l'harmonie très précisément construite, sur des coussinets et de droits arpèges (IV. Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen - Souvent je pense qu'ils sont allés marcher dehors). L'assise impeccable est à l'image de l'interprète qui gagnerait à montrer davantage -ou au moins à suggérer- une déchirure intérieure par un timbre plus délicat et surtout en refrénant un volume assourdissant dans cette salle charpentée. Edwin Fardini, dont la voix conserve sa plénitude, prouve certes ainsi qu'il peut prétendre à de plus grands espaces, d'autant qu'il laisse délicatement se voiler le (trop rare) mezzo piano, il manque cependant l'entre-deux d'intentions et de nuances. L'esprit surgit pourtant, menant vers une conclusion noyée de pédale pour l'un, mains recueillies en prière pour l'autre.
Entre les deux pièces vocales de Mahler, Tanguy de Williencourt interprète seul la Sonate pour piano opus 1 d'Alban Berg, creusant le thème de l'oxymore : les phrasés sont à la fois liés et déliés, les intervalles disséqués s'intègrent à de longs souffles (même la pédale est entre deux mondes, enfoncée à moitié). Le crescendo emporte hélas des aigus secs (pour lesquels l'instrument semble bien davantage à blâmer que l'instrumentiste).
L'oxymore est aussi évident que poignant dans les Rückert-Lieder de Gustav Mahler qui referment le concert, et ce dès les premiers vers (Si tu aimes la beauté, ne m'aime pas !). Le chanteur soutient ces émotions contrastées par des pleurs rageurs, osant quelques décrochements vocaux sur la cavalcade ou les douces cascades perlées du piano.
Nul oxymore dans la réception du public, marqué par cette performance.