Julia Lezhneva ou la virtuosité stupéfiante aux Concerts d’automne de Tours
« Labyrinthe des passions » : c’est le titre du concert donné par Julia Lezhneva au récital qu’elle propose au Grand Théâtre de Tours, au cours duquel elle interprète des airs de Porpora, Graun, Vivaldi et Haendel, exprimant un panel d’émotions très contrasté : l’amour bien sûr (Siface de Porpora, Ercole sul Termondonte de Vivaldi), le désespoir amoureux (Coriolano de Graun), la terreur (Il trionfo del tempo e del disinganno), l’allégresse (Alessandro de Haendel).
Au service de ces sentiments, Julia Lezhneva met une technique hors pair, qui plonge le public dans la stupéfaction : lors de la première partie, la voix semble avoir encore besoin de temps avant de pouvoir faire étalage de toute sa richesse et de ses possibilités. Quelques infimes détails viennent à peine ternir sa performance (voix qui s’éteint dans la nuance pianissimo, legato un peu bousculé par certaines notes extrapolées dans l'air de Coriolano, palette de nuances un peu limitée). L’art d’ « éteindre » les phrases musicales gagnerait également à être peaufiné, ces phrases s’interrompant assez souvent de manière un peu sèche et abrupte. Ces légères réserves sont balayées dans une seconde partie stupéfiante de maîtrise technique : les ornements sont exécutés avec précision, rapidité et une facilité déconcertante (notamment l’Alleluia de Porpora proposé en bis).
L'intensité des passions exprimées dans ces airs de bravoure se révèle également supérieure dans la seconde partie – sauf peut-être dans le « Lascia la spina » de Haendel donné en bis, qui souffre d’un déficit de couleurs et donc d’émotion. La voix de la soprano russe dispose d’un panel de nuances et de couleurs peut-être moins large que chez certains autres interprètes, et pour rendre ses interprétations véritablement expressives, elle doit donc aussi et surtout prêter attention aux mots, à leur articulation, à leur projection. La voix se libérant progressivement au fil du concert, Julia Lezhneva, sans doute encouragée par l’excellent accueil que lui réserve le public, sort petit à petit d’une relative réserve et propose des interprétations plus habitées, moins stéréotypées dans l’expression dès la fin de la première partie, avec notamment l’air de Postumio (Silla de Graun). Dans la seconde partie du concert, elle pare l’air de Vivaldi (Ercole sul Termodonte) d’une poésie infinie, grâce à un legato cette fois parfaitement maîtrisé et une ligne de chant extrêmement délicate, évoquant à merveille tantôt le souffle du vent, tantôt le murmure des ruisseaux ou encore le chant des oiseaux. Elle s’investit par ailleurs totalement dans l’air de Bellezza (Il trionfo del tempo e del disinganno), transformant la page de Haendel en véritable scène de folie.
Le Kammerorchester Basel, sollicité pour trois pages de Torelli (Concertos op. 8 n°s 5, 8, 12 et 3), fait montre de sa musicalité virtuose : capable de la plus grande délicatesse (introduction de l’air de Vivaldi : « Zeffiretti che sussurrate » / « Zéphyrs qui murmurez ») comme d’un dramatisme énergique et parfois violent (les réponses fulgurantes de l’orchestre aux imprécations de Postumio dans l’air de Silla), il recueille du public des applaudissements extrêmement chaleureux.
La salle remercie debout une artiste dont la joie de chanter se manifeste par un sourire radieux tout au long du concert.