À deux voix et une vièle : l'amour courtois à Royaumont
Le répertoire balaye une vaste période (1300-1650) et une large palette de sentiments, que les deux interprètes mettent en espace : chantant leur amour croissant face à face, ils s'avancent l'un vers l'autre, se serrent côte à côte et s'enlacent, chantent ensemble et se répondent, finissent les phrases et même les mots l'une de l'autre. Mais bien proche est le temps des orages et des tristesses, l'union devient opposition : les amoureux claquent et tournent les talons, se chassent comme se chassent les saisons, pour mieux renaître tel le phénix ("Fenice Fui" du compositeur XIVe siècle Jacopo da Bologna est l'un des vingt-deux morceaux égrainés ici, chacun représentant une étape dans l'histoire de la musique et de ces amours imaginaires).
Les œuvres s'enchaînent et les musiciens auraient visiblement souhaité emporter tout le récital dans un seul souffle et même le prolonger encore davantage (prévu pour durer une heure, la fin du concert est précipitée après une heure et demie, la salle devant être libérée). Les applaudissements du public servent toutefois à marquer différentes séquences dans ce programme : la séquence italienne du XIVe siècle, la séquence française XIVe & XVe siècle (annoncée ainsi par Marc Mauillon : "Plaignons-nous avec bonheur"), une séquence européenne (en italien puis français par un anglais, en italien par un franco-flamand), avant une longue séquence finale de dialogues entre eau et feu ("Aqua, aqua, aiut’al foco" de Tromboncino), âme et corps (l'anonyme "Anima mia che pensi?"), menant vers le XVIIe siècle.
En de rarissimes occasions, Vivabiancaluna Biffi s'assied et cale sa vièle entre les cuisses à la manière d'une petite viole de gambe, en tirant de légers pizzicati qui soutiennent sa souplesse et sa justesse (bien davantage qu'avec l'archet qui s'éloigne du chevalet, à l'image de sa voix). Hélas, la plupart du temps, elle chante en duo ou seule, d'une voix inquiète et tremblante, entre deux registres, l'appui fébrile et le regard inquiet. Clairement musicienne, c'est la technique vocale qui lui fait manquer rythmes et notes (sans pourtant perdre les modes au long cours).
De ce fait, Marc Mauillon peine à soutenir seul la ligne et, davantage que la justesse, sa voix offre des qualités de timbre velouté à travers tous ses registres (une fois encore, il se joue des tessitures, entre la douce ancrée d'un baryton, des corsages de ténor galant avec même des harmoniques plus hautes encore).
Les interprètes ne se facilitent pas la tâche en démultipliant les lignes par de constants ornements et variations (paradoxe : la variation qui est censée enrichir le discours en apportant du changement, devient monotone lorsqu'elle est perpétuelle). Les deux artistes peuvent toutefois s'appuyer sur un remarquable travail prosodique, garantissant la structure des lignes, en français comme en italien.
L'Amour courtois se précipite pour conclure dans les temps un concert salué par des applaudissements, bien davantage que "de courtoisie".