Rameau, Britten et Mendelssohn tout en contrastes à la Philharmonie
1733 est l’année de création à Paris d’Hippolyte et Aricie, première tragédie lyrique de Rameau. En 1832, Mendelssohn dirige lui-même sa Symphonie n°5 dite Réformation devant le public berlinois tandis que Britten achève en 1939 aux États-Unis Les Illuminations pour voix haute et orchestre à cordes. La diversité de ce programme figure également dans le rapport de l'Orchestre de Paris avec ces œuvres (la Symphonie de Mendelssohn est à leur répertoire depuis 28 ans alors que les deux autres œuvres y font leur entrée).
L’Orchestre de Paris joue un rôle majeur au service des musiques du XIXe, XXe siècle et de la création contemporaine. Cependant, l’écriture orchestrale de Rameau, et notamment la Suite pour orchestre tirée d’Hippolyte et Aricie est si riche d’effets de masse, de timbres et de dynamiques rythmiques qu’elle séduit sur instruments modernes. Le son manque certes de dynamique, les notes répétées sont peu détachées alors que les phrasés restent trop legato.
Aux neuf mouvements de la Suite orchestrale de Rameau répondent les neuf parties des Illuminations de Britten, cycle de mélodies pour voix aiguë (ténor ou soprano) sur des poèmes (français) en prose tirés du recueil éponyme d’Arthur Rimbaud. Le choix des textes est primordial pour ce compositeur qui écrit beaucoup pour la voix, véhicule de la poésie. Les Illuminations évoquent la théâtralité du monde, la frénésie des grandes villes, revendiquant un propos parfois difficilement compréhensible. Bien que créée par la soprano Sophie Wyss, l’œuvre fut dès l’origine chantée par des ténors. Ian Bostridge n’en est pas à ses premières Illuminations, une œuvre qu’il fréquente régulièrement au concert et qu’il a enregistrée sous la direction de Simon Rattle.
La voix de Ian Bostridge semble totalement adaptée à la musique du compositeur, réputée difficile à chanter, ne mettant pas en valeur la voix pour elle-même mais l’utilisant plutôt comme un outil au service de l’expression. Il déclame, et cela par trois fois, la devise « J’ai seul la clé de cette parade sauvage » de façon très intelligible dans un crescendo nourri tandis que les cordes annoncent une fanfare. L’intelligibilité du texte pose cependant problème de façon récurrente : les poèmes de Rimbaud ne se livrent pas immédiatement, l’ambitus vocal demeure large et peu favorable, l’orchestre fourni couvre par moments le chanteur. Le ténor captive toutefois par une interprétation riche en couleurs créant de multiples ambiances d’un poème à l’autre. Les sons peuvent être sans vibrato et stridents (Ce sont des villes), évoquant le tumulte des métropoles ou alors extrêmement doux sur un fil de voix de tête tel un funambule chantant « et je danse » dans Phrase. Certains mots sont éructés de façon théâtrale vers le public (« chinois, hottentots, bohémiens »), mais la plupart du temps, Ian Bostridge courbe sa haute silhouette longiligne, abaissant la tête, le regard plongeant vers le sol. Sa voix se déploie de façon très homogène dans Being beauteous et vocalise agilement sur les tourbillons de Marine. Le public conquis par cette interprétation haute en couleurs et lumineuse, acclame les artistes chaleureusement.
Dans la deuxième partie du concert, les contrastes sont inhérents à l’œuvre elle-même : la Symphonie n°5 de Mendelssohn dite "Réformation". Ses quatre mouvements offrent une variété de styles et font entendre la belle sonorité des différentes familles instrumentales ainsi qu’une cohésion d’ensemble, le tout mené rondement par Daniel Harding. Les cuivres la font débuter de manière solennelle puis en fanfare, les bois offrant la légèreté et le charme dans le Ländler (danse populaire allemande). Le lyrisme des cordes témoigne du génie mélodique du compositeur. Le final de cette œuvre dédiée à la Réforme constitue un double hommage : à Luther avec l’utilisation d’un illustre choral (Ein feste Burg ist unser Gott, Notre Dieu est une solide forteresse) et à Bach, qui avait fait de ce choral le matériau de sa cantate BWV 80.
Sans contraste aucun le public applaudit comme un seul homme cette soirée lumineuse.