La tendre virtuosité de Farinelli ouvre le Festival d’Ambronay
Le Festival d’Ambronay arrive à la troisième et dernière saison de son voyage autour des vibrations : après Lumières puis Souffle, la programmation de cette saison 2018 emmène son public jusqu’aux hauteurs du Cosmos. Pour commencer l’aventure, le public ambrunois est propulsé vers deux étoiles du XVIIIe siècle, le célèbre castrat Carlo Maria Broschi (1705-1782), dit Farinelli, et le grand poète Pietro Metastasio (1698-1782), dont les livrets furent utilisés par presque tous les compositeurs d’opéra du XVIIIe. Les deux artistes entretenaient une amitié forte, commençant toujours leur correspondance par « Caro gemello » (cher jumeau). Leurs carrières furent aussi intimement liées, depuis leurs débuts lors du même concert en 1722 à Naples et, lors de fréquents projets communs, jusqu’à leur disparition la même année. Pour cette ascension céleste, il suffit de se laisser emporter par une étoile montante de l’interprétation baroque : le solaire contre-ténor Valer Sabadus.
Dans cette belle abbatiale d’Ambronay, le Concerto Köln, ensemble autogéré par le pupitre de premiers violons et le bassoniste, enveloppe tout d’abord le public dans un son feutré avec les douces entrées en imitation de la Sinfonia extraite de l’oratorio La Morte d’Abel d’Antonio Caldara (1670-1736), sur un livret de Métastase et créée par Farinelli en 1732 à Vienne. Valer Sabadus monte ensuite sur scène pour interpréter l’air d’Abel « Quel buon pastore io son » (Quel bon berger je suis). Dès l’introduction instrumentale, le contre-ténor se montre déjà sensible à la musique, aux couleurs et aux harmonies de l’ensemble, fermant les yeux et dodelinant de la tête. Puis il fait entendre sa voix lumineuse, particulièrement dans ses aigus au timbre pur. Il captive son audience jusque dans sa cadence. Son air suivant « Questi al cor fin ora ignoti » (Ces impulsions intérieures de mon sang) est tout autant saisissant de tendresse.
La Sinfonia op. 2 n°1 de Nicola Porpora (1686-1768), professeur de Farinelli, est l’occasion d’une pause instrumentale. L’ensemble, toujours très propre, y manifeste une finesse des couleurs, des effets dénués de toute extravagance gratuite et une certaine justesse dans l’équilibre de ses énergies. La direction commune, discrètement impulsée ici par le chef d’attaque des premiers violons, Markus Hoffmann, est assurément particulière par son organisation artistique. Celle-ci se ressent : l’orchestre ne manque aucunement d’unité, les élans du discours sont délicats et toujours justifiés, manquant peut-être ainsi d’une prise de risque qui emporterait vraiment l’auditeur. Dans l’air de Tirsi « Il pie s’allontana » (Je m’éloigne) extrait de l’opéra Angelica (1720, Naples), Markus Hoffmann démontre sa virtuosité en réponse à celle de Valer Sabadus. Les admirateurs de Farinelli venant très certainement entendre le castrat, qu’importe l’intrigue de l’œuvre, la musique se montre plus au service de la voix qu’au service du texte. Le contre-ténor, à l’instar de son modèle, se montre donc, par sa gestique, plus sensible à son discours musical qu’au sens des paroles. Les tourbillonnantes vocalises de l’air suivant, « Amor, dover, rispetto » (Amour, devoir, respect) extrait d’Adriano in Siria de Geminiano Giacomelli (1692-1740), en sont une démonstration encore plus flagrante mais toujours très séduisante.
La deuxième partie de soirée s’ouvre fièrement avec les rythmes pointés, à la française, de la Sinfonia extraite de L’Angelica de Porpora. Valer Sabadus accourt sur scène avec légèreté pour un beau « Non giova il sospirar » (Il ne sert à rien de soupirer), suivi du très touchant air d’Acis « Alto giove » (Suprême Jupiter), extrait d’Il Polifemo. Soutenu par les belles couleurs de l’orchestre, le contre-ténor porte une attention extrême à ses lignes mélodiques, qu’il caresse de sa main comme une imaginaire, précieuse et fragile étoffe de soie. Après ce superbe moment lyrique, Le Concerto Köln interprète une page non-opératique avec l’Ouverture VI de Francesco Maria Veracini (1690-1768), qui allie sinfonia italienne et suite de danses française, véritable préfiguration au style classique. Les instrumentistes ne se privent pas de malice dans le déferlant Allegro, où hautbois et violons se répondent dans des jeux de prouesse. Après un Largo qui chante sans traîner, le Menuet est riche de contrastes, les archets rentrant davantage dans les cordes, faisant ainsi entendre le grain du son pour cette danse décidée, voire virile. Après un joli « Se al labbro moi non credi » (Si tu ne crois pas mes paroles) extrait d’Artaserse de Riccardo Broschi (1686-1766), frère aîné de Farinelli, Valer Sabadus impressionne une fois encore avec les vocalises de « Senti il fato » (Écoute le destin) extrait d’Il Polifemo de Porpora, surtout lors du da capo orné (la reprise). Dans cet air contrasté et coloré, le contre-ténor montre ses jolis graves et ici son attention au texte.
Chaleureusement applaudi, Valer Sabadus offre en premier bis un air composé par Farinelli en personne, en hommage à son ami poète, « Ecco quel fiero istante » (Voici l’instant cruel), présenté justement par Sabadus lui-même comme « simple mais venant du cœur ». Encouragé, le chanteur offre également « Crude furie » extrait du Serse de Haendel, où débarrassé de son pupitre, il incarne véritablement son personnage. Enfin, il offre encore un dernier joli air avant de saluer avec tous les musiciens sur le devant de la scène, chaleureusement applaudis par un public absolument ravi.