Le Gstaad Menuhin Festival 2018 recompose Les Saisons
Fondé par "le violoniste du siècle" en 1957, dès son installation dans la ville suisse, le Gstaad Menuhin Festival & Academy propose désormais 50 concerts en moyenne (pour 20.000 visiteurs), sur une remarquable durée (allant de mi-juillet à début septembre) aussi impressionnante que la qualité de sa programmation et de ses grands noms (Ôlyrix sera notamment présent pour la venue de Jonas Kaufmann et vous pouvez retrouver les stars du programme lyrique dans notre Guide européen).
Cette année, le thème du Festival est limpide comme un lac helvétique : intitulé "Les Alpes", il met en avant le lien entre la nature et la musique. À commencer par la thématique occupant les trois premiers jours : "Seasons recomposed" s'ouvrant le 13 juillet 2018 par Les Saisons de Vivaldi, puis une version tango par Andrés Gabetta et sa Cappella le surlendemain, et entre les deux, Les Saisons de Haydn, le tout dans l'Église de Saanen, lieu de naissance du Festival.
Recomposer Les Saisons de Vivaldi, le premier concert l'aura indéniablement et remarquablement fait : littéralement grâce à l'œuvre originale de Max Richter (qui, agacé d'entendre sempiternellement les Quatre saisons sur les musiques d'attente téléphoniques, réinvente en 2012 les thèmes et les rythmes dans une osmose mélancolique), par l'interprétation seule en première partie, Daniel Hope et le Zurich Chamber Orchestra offrant une exécution endiablée mais respectant littéralement les notes et l'esprit de Vivaldi (le baroque flamboyant était fait pour briller).
Recomposer Les Saisons de Haydn afin que l'œuvre soit connue à son juste mérite, tel est également le projet de Paul McCreesh, au deuxième jour du Festival. Au point que le chef d'orchestre anglais affirme que cet opus mériterait la même renommée que les légendaires chefs-d'œuvre pour orchestre, chœurs et solistes que sont la Neuvième Symphonie de Beethoven, Le Messie de Haendel ou La Création également un oratorio et du même Haydn. C'est d'ailleurs suite au succès de The Creation en 1798 qu'Haydn collabore de nouveau avec le baron Gottfried van Swieten. Mais le livret des Saisons fut engendré dans la douleur, d'après divers extraits d'un poème anglais de James Thomson (1700-1748), traduit en allemand et mis en musique, puis retraduit en anglais (en raison de la popularité de Haydn outre-Manche) ! Qu'à cela ne tienne, puisque le texte anglais est décrié, Paul McCreesh a décidé de retraduire lui-même l'œuvre et il la présente au Gstaad Menuhin Festival sur instruments d'époque, avec son Gabrieli Consort et Chœur ainsi que trois solistes en vue et en voix.
Paul McCreesh, son Gabrieli Consort & Chœur étaient déjà présents à Saanen l'été dernier pour Le Messie de Haendel et en 2016 pour interpréter le Requiem de Mozart :
La construction formelle des Saisons de Haydn est limpide, notamment car elle est distincte pour chaque saison (et interprétée comme telle par des musiciens raisonnant et résonnant) : le Printemps s'apparente à une cantate (alternant passages orchestraux, soli, chœurs), l'Été est un Lied avec orchestre, l'Automne se construit autour du duo amoureux et l'Hiver conclut par une fugue en apothéose.
À l'inverse, la narration est difficile à suivre. D'abord parce que le texte et l'humeur musicale ne correspondent pas aux saisons. L'Été est mélancolique, pas de feuille morte ni de sanglots longs des violons à l'Automne mais un duo amoureux (l'Automne est en fait ici bien plus Printanier que le Printemps), l'Hiver présente des chants joyeux et populaires (mais il commence certes, comme il se doit, par un effet engourdi). Les chanteurs et la chanteuse ne connaissent pas non plus le changement des saisons. Les trois solistes vocaux portent le nom de trois "villageois" (la soprano Hanne, le ténor Lucas, le baryton ou basse Simon) mais ils enchaînent des interventions dans un caractère constant, sans réelle interaction ou évolution d'un personnage. De fait, les interprètes du soir décident de camper chacun son caractère expressif et vocal unique, ce qu'ils ont le mérite de faire avec constance et harmonieusement selon leur tessiture. L'investissement et la qualité des musiciens se détachant souvent de la partition est ainsi remarquable, notamment pour les solistes vocaux qui maîtrisent pleinement ces mélodies et ce texte retraduit en 2016 !
La soprano Carolyn Sampson arbore toute la soirée une mine et une voix absolument ravies, flûtée en timbre, fraîche en résonances, avec une indéniable juvénilité. Qu'elle chante, se lève pour chanter ou s'asseye pour écouter ses camarades, elle hausse ses yeux et ses commissures vers le ciel. C'est donc avec naturel qu'elle fait éclore le printemps et que ses aigus trillés, rapides et délicats, puissants et assurés s'épanouissent durant l'Été.
Appuyant aussi fortement le vibrato qu'il soutient son aigu, le ténor Jeremy Ovenden offre lui aussi le port et l'investissement à la mesure du plateau (et du public). Il laisse une ravissante cavatine estivale, un été aux doux rayons de soleil, très long et tenu. Le ténor donne aux récits la beauté des airs, le baryton donne aux airs le naturel des récits : Ashley Riches propose en effet un baryton chantant et contant, très seyant pour cette forme de l'oratorio qui confie à cette tessiture les interventions narratives et philosophiques. Certes bien davantage à l'aise dans l'articulation rapide des paroles que celle des vocalises, il sait s'appuyer sur le timbre du médium-grave et appuyer judicieusement les consonnes, rendant par là même les accents populaires qui irriguent bel et bien la partition (l'oratorio rend grâce à la nature et à Dieu, mais avec des caractères universels).
Colosse signant toute l'interprétation (en plus de la nouvelle traduction), le chef Paul McCreesh se retourne vers le public pour mieux jeter la foudre sur son Gabrieli Consort & Players & Choir, obtenant des cataractes sonores. Le colosse se fait argile pour sculpter délicatement le son des oiseaux, moutons, abeilles : Les Saisons regorgent bien entendu de ces illustrations sonores bucoliques et les cuivres (lorsqu'ils ne sont pas complètement faux) semblent même avoir su trouver leur inspiration dans la région pour sonner comme les appels à travers les alpages. Une haute conscience musicale (dans la partition comme l'interprétation) soutient l'impressionnante architecture classique.
La période estivale (celle des festivals) est souvent l'occasion de constater combien l'année est passée à toute vitesse, il en va de même pour ce concert et Les Saisons de Haydn, dont les trois bonnes heures réjouissent un public qui acclame Printemps, Été, Automne, Hiver jusqu'à l'ovation debout unanime.