Le Monstre du labyrinthe à la Philharmonie de Paris : tous en chœur !
En tournée dans toute l'Europe depuis sa création au Festival d’Aix-en-Provence en 2015 (puis notamment à Montpellier la saison passée), Le Monstre du Labyrinthe, opéra participatif de Jonathan Dove mis en scène par Marie-Ève Signeyrole, est de passage sous les voûtes de la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, réunissant un cortège de musiciens amateurs (avec un chœur multigénérationnel), des étudiants en pôle supérieur et des professionnels (l’Orchestre de Chambre de Paris, mais aussi les solistes Damien Bigourdan en Thésée, Pauline Sabatier dans le rôle de la mère, Damien Pass en Dédale et Miloud Khetib en Minos). Ensemble, les interprètes revisitent le mythe de Thésée et du Minotaure au fil d’un livret d’une grande limpidité. La partition, contrastée entre les parties chorales aux motifs récurrents et les parties solistes plus écrites se déploie au sein d’une mise en scène qui dessine habilement l’espace, immergeant le spectateur dans l’histoire (notamment par l’intermédiaire de la vidéo, l’action sur scène prenant dès lors une toute autre dimension) tout en le confrontant à des correspondances entre le mythe et l’actualité toujours brûlante du « drame migratoire en Méditerranée » (Marie-Ève Signeyrole).
Certaines images captivent particulièrement le regard, comme ces barrières installées entre les adultes et les enfants au début de l'Acte I (jeunesse condamnée à être jetée en pâture au Minotaure) et leur séparation (les visages en peine projetés sur l’écran grâce à la caméra), la grille posée sur le devant de la scène confinant emprisonnés les enfants au début de l’Acte II (évoquant implicitement les événements récents aux États-Unis), les murs du labyrinthe faits de la chair des enfants, ces derniers, par des gestes millimétrés, redéfinissant l’espace dans lequel s’engouffre le héros, mais aussi le retour de Thésée et des enfants à Athènes, tous s’avançant des quatre coins de la salle Pierre Boulez vers la scène accompagnée de la lumière bleutée des lanternes et bien entendu le chœur final, rassemblant une masse humaine compacte sur scène dont les titubations font écho aux mouvements des vagues. Astucieuse dans sa configuration de l’espace, alliant la poétique de l’enfance (la voix candide de la très jeune narratrice, le bateau en papier délivré au public entre les deux actes) et la gravité du sacrifice, l’éternité du mythe et sa puissance de signification dans notre monde contemporain, le happy end du mythe et la nécessité de la prise de conscience (avec une fresque aux mille visages d’enfants perdus dans la mer), la mise en scène de Marie-Ève Signeyrole est une brillante réussite à bien des égards.
Acclamé en sauveur dès son arrivée sur scène jusqu’au triomphe contre le Minotaure, Damien Bigourdan incarne Thésée avec héroïsme, bravoure et entrain. La voix est franche et puissante dans l’émission (imitant les lignes vaillantes des trompettes en des sauts vainqueurs), les aigus saillants, passant aisément au-dessus de la fosse et des choristes. Poussée à certains moments, la voix devient presque criarde et tend à perdre en justesse (« Allons au cœur obscur du labyrinthe »). Dans le rôle de la mère de Thésée, Pauline Sabatier offre au début du spectacle une voix fluette qui peine à passer la fosse (en particulier lorsque sa ligne est doublée à l’orchestre) mais qui dévoile un beau timbre argenté et une voix très vibrée, le « Malheur à toi » délivré fortissimo à son fils est déchirant. À la fin de l’ouvrage, retrouvant son fils vainqueur (« Mon fils, mon fils »), la voix tend vers des aigus puissants et poussés qui portent par-delà l’effectif. Incarnant Dédale, le concepteur du labyrinthe, Damien Pass est doté d’une belle voix de baryton-basse dont les graves caverneux, la prosodie lente (« Ce labyrinthe, je sais son secret ») et la diction travaillée siéent admirablement à la mélancolie de ce personnage condamné à errer dans le labyrinthe puis guide du héros jusqu’au Minotaure. À leurs côtés, le comédien Miloud Khetib incarne le cruel Minos avec corps, le jeu habité et la voix (amplifiée) grandiloquente, s’attardant sur quelques syllabes pour appuyer sa colère et les sentences qu’il invoque contre les Athéniens.
Sous les amples mouvements de Quentin Hindley, le chœur amateur (composé d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes) montre un travail admirable et une énergie débordante. Les maladresses parfois perceptibles (décalages dans l’attaque, justesse) n’entachent point la ferveur déployée par cette myriade d’interprètes. Scindé en trois parties, le chœur se réunit entier sur scène à la fin de l’ouvrage pour un « Ardente lumière, vive lumière » captivant, fin alliage de différents timbres (le compositeur étant par ailleurs habitué à écrire pour des chœurs amateurs). Ils sont soutenus pour l’occasion par les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris et des étudiants en pôle supérieur, lesquels accompagnent les voix généreusement et avec souplesse, les trois personnages principaux bien caractérisés par leur équivalent instrumental (Thésée par les trompettes, Minos avec les scintillements métalliques des percussions, le Minotaure par les puissants cuivres).
Une production qui n’a pas fini de séduire un public venu nombreux en famille pour l’occasion !
Profitez de ce spectacle en vidéo intégrale : d'abord avec cette représentation à la Philharmonie de Paris, puis au Festival d'Aix-en-Provence en 2015