Winterreise reconstruit la Maison Usher au Musée Henner
Olivier Dhénin, Directeur artistique de la compagnie Winterreise choisit de rendre hommage à Debussy, dont nous commémorons le centenaire de la mort cette année, en donnant La Chute de la Maison Usher, opéra inachevé composé sur une nouvelle d’Edgar Allan Poe. Il y adjoint Faust et Hélène écrit d’après Goethe par Lili Boulanger, également disparue en 1918 : deux redécouvertes en somme. Il place ce diptyque dans le cadre intime du Musée Jean-Jacques Henner, à l’acoustique chaleureuse.
C’est d’abord Faust et Hélène qui se tient en version concertante, accompagné au piano par Emmanuel Christen, au toucher éloquent et qui se montre attentif aux nuances et au phrasé des chanteurs. La partition offre de belles pages mélodiques, et notamment un trio final intense. Le docteur maudit est alors interprété par le ténor Bastien Rimondi, dont la voix haut placée, à l’intense vibrato, repose sur un timbre mélancolique et chaud. Ses passages en voix mixte se font dans un beau legato, qui porte la voix dans les nombreux sauts d’intervalles prévus par sa partition, escarpée. Face à lui, Juliette Raffin-Gay s’approprie le rôle de la plus belle femme du monde, d’une voix de soprano profonde aux graves soyeux de mezzo. Pourtant, un rayon de lumière éclaire les sommets de son architecture vocale. Enfin, le baryton Alexandre Artemenko est un Méphisto plus raisonnable que son maître damné, mais qui se fait inquiétant dans son jeu muet, lorsqu’il observe le couple, un sourire en coin, durant leur duo d’amour. Son phrasé soigné met en valeur une voix au timbre lumineux et aux graves charpentés. Martiale, sa voix tonne à l’arrivée de l’armée de spectres (qui vient ramener Hélène aux enfers), couvrant sans s’émouvoir la sirène d’alarme, déclenchée intempestivement au beau milieu de l’œuvre.
Avant que le second opus ne débute, Olivier Dhénin demande aux spectateurs de faire pivoter leur siège, afin de former deux rangées se faisant face, laissant entre elles un passage reliant les deux espaces scéniques de la salle. Il apporte également quelques explications sur sa démarche : l’œuvre étant inachevée, il est reparti du livret écrit par Debussy. Les parties que le compositeur n’a pas eu le temps de composer sont ainsi déclamées, accompagnées par trois sonates de Debussy lui-même, formant un mélodrame élargissant celui, prévu par le livret, au cours duquel l’Ami lit le récit médiéval de Mad Trist. Ainsi arrangée, l’œuvre forme un tout intelligible et dramatiquement puissant.
Alexandre Artemenko et Bastien Rimondi reviennent dans cette seconde partie, respectivement en Roderick et en Médecin. Le premier offre une belle interprétation théâtrale, impliquée et habitée, vocalement modulée selon les évolutions de l’état psychologique du personnage, mais hélas soutenue par la partition que le jeune chanteur n’a pas eu le temps d’apprendre par cœur. Le second, dans un costume plus sombre que son Faust, explore cette fois un registre grave, très différent de sa première intervention. Il s’y montre tout aussi structuré.
Lady Madeline, qui traverse l’œuvre telle une étoile filante, est interprétée avec fraicheur et sensibilité par la soprano Anne-Marine Suire. Sa voix au timbre riche de couleurs s’élève vers des aigus tranchants et longs. Quant à l’Ami, Olivier Gourdy (déjà découvert dans Prima la musica e poi le parole à Levallois) le dépeint en être morne, par sa démarche comme par sa voix légèrement timbrée, mais doté d’un phrasé nuancé et expressif et d’un jeu tout en émotion retenue. Dans le prolongement de son travail théâtral, il caractérise avec finesse les couleurs de sa voix, parfois profonde et large, et parfois aiguë et douce.
L’écoute du public est de qualité durant toute la représentation : les dernières notes de chaque pièce ont le temps de s’épanouir dans le jardin d’hiver du Musée Henner, avant que ne retentissent les applaudissements sonores.