Carmen par Radu Mihaileanu ouvre la nouvelle saison d’Opéra en plein air
Créé en 2001, le Festival Opéra en plein air a pour but de promouvoir l’art lyrique et offre pour cela l’espace d’un site patrimonial au service d’une mise en scène confiée à une personnalité publique. Après notamment Les Noces de Figaro par Julie Gayet en 2017 ou La Traviata par Arielle Dombasle en 2015, Opéra en plein air se réinstalle juste devant le Château de Sceaux pour une nouvelle production.
Évidemment, le fait d’installer une scène d’opéra en plein air crée de nombreuses contraintes. Le problème majeur est la limite de projection sonore de la voix humaine, quand celle-ci n’est pas soutenue par une architecture adaptée comme au Théâtre antique d’Orange par exemple. Ainsi, les chanteurs sont-ils ici physiquement équipés de micros, de même que l’orchestre, ce qui nuit à la qualité de perception des voix et de la musique. Également du fait d’une installation en extérieur, les décors sont assez réduits et les changements rendus quasi-impossibles. Les décors, ainsi présents tout le long du spectacle manquent de vie, l’ensemble des panneaux étant translucide et provoquant assez peu d'impact visuel.
La scène est divisée en deux espaces, l’un au-dessus de l’autre, laissant entre eux deux une petite fosse dans laquelle est installé l’orchestre. Dans son ensemble, l’interprétation scénique de Radu Mihaileanu reste dans les codes d’une mise en scène classique, mettant cependant l’accent sur la mixité culturelle et l’acceptation de l’autre, des thèmes contemporains qui lui sont chers. Les contrebandiers deviennent passeurs, aidant des familles de migrants à franchir la frontière. Dans l’auberge de Lillas Pastia, les réfugiés montrent leur talent de danseurs et chacun, sévillans comme bohémiens, s’essaye à la danse africaine sur « Les tringles des sistres tintaient », au tout début du deuxième acte.
Certains choix esthétiques manquent toutefois de subtilité, comme l’apparition de Carmen en costume multicolore au milieu de très jeunes cigarières habillées en tenues sobres d’ouvrières, ou certains mouvements d’ensemble codifiés et très répétitifs qui ne s’accordent pas avec la vitalité suggérée par la musique.
La distribution, essentiellement composée de chanteurs étrangers se frotte à la difficulté de la prononciation de la langue française, au point que la nationalité de chaque interprète devient très facile à identifier ! D’autant que la version choisie est celle d’origine, dans la forme de l’opéra-comique avec dialogues parlés entre les airs. Ces problèmes de diction se ressentent heureusement moins quand ils sont chantés.
La mezzo-soprano égyptienne Gala El Hadidi s’investit bien dans le rôle de Carmen, qu’elle danse autant qu’elle chante. Dotée d’une belle présence scénique, elle déploie un joli timbre nuancé, soutenu par un souffle long et maîtrisé. À ses côtés, le Don José d'Eric Fennell semble habité de moins de couleurs, et la voix au timbre légèrement nasal n'est pas la mieux adaptée à l’amplification microphonique. Cependant, il fait preuve d’une certaine musicalité et délivre de beaux aigus.
Olga Tenyakova est une Micaëla convaincante, autant dans le jeu que dans le chant. Elle déploie une belle ligne vocale et des aigus puissants, qu’elle sait nuancer quand il le faut, comme par exemple dans son air du troisième acte « Je dis que rien ne m’épouvante ». Le torero Escamillo est interprété par Pierre Doyen, l'un des seuls français de la distribution, qui s’illustre par une excellente diction. Chanteur élégant, sa voix manque cependant un peu de soutien dans le grave.
La soprano Gaëlle Méchaly incarne une pétillante Frasquita, de même que la mezzo Pauline Sikirdji dans le rôle de Mercédès. Toutes deux forment un agréable ensemble avec le Dancaïre de Franck Lopez et le Remendado de Sahy Ratia dans l’amusant quintet du deuxième acte « Nous avons en tête une affaire ».
Enfin, Andriy Gnatiuk et Tiago Matos campant respectivement Zuniga et Moralès, finissent de compléter la distribution, sans oublier les rôles parlés de Lillas Pastia (Romain Delbart) et du guide (Gary Mihaileanu). Le chœur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le jeune chœur Unikanti offrent également une belle prestation.
Le chef Vincent Renaud à la direction du Music Booking Orchestra propose une interprétation musicale assez sobre de l’œuvre, sans doute contrainte par l’emplacement des musiciens au sein même du plateau (le chef ne pouvant pas voir les solistes quand ceux-ci progressent à l’avant-scène). Certains pupitres aigus (violons et flûtes notamment) ont également tendance à saturer à cause des micros.
La tournée continuera jusqu’au 8 septembre avec quatre dates d’affilée à l’Hôtel National des Invalides et s’arrêtera auparavant pendant l’été aux châteaux du Champ de Bataille, de Vincennes et de Haroué, ainsi qu’au Domaine National de Saint-Germain en Laye et dans la cité médiévale de Carcassonne.