Vivica Genaux réchauffe la salle Gaveau avec Haendel et Scarlatti
Après un accord minutieux des instruments anciens nécessité par la chaleur de la salle, le concert débute par une ouverture à la française extraite d’Agrippina de Haendel. Celle-ci n’est pas choisie au hasard et permet à la chanteuse de s’imprégner de son personnage. En effet, son premier air "Siete assai superbe", extrait de l’opéra Rodrigo du même compositeur, est un air de bravoure. Rodrigo défie le destin comme Vivica Genaux défie la rapidité et l’ambitus de l’air, sollicitant les trois registres de façon virtuose. D’emblée, le public est transporté dans l’ambiance des écoles de chant du début du XVIIIe siècle en Italie qui affectionnaient particulièrement les voix de castrat.
Alessandro Scarlatti, souvent considéré comme le père de l’opéra seria napolitain répond aux critères imposés par le genre : une histoire inspirée par des héros de l’Antiquité plutôt que la mythologie sans interventions magiques ou surnaturelles avec peu de personnages, trois actes avec une progression alternant récitatifs et airs : la forme standardisée des airs est l’aria da capo et ces airs sont prétextes à l’expression des affetti (émotions). Ainsi, les trois airs suivants choisis par les interprètes en sont de parfaites illustrations.
"Son qual nave in mezzo all’onde", extrait de l’opéra Marco Attilio Regolo décrit les éléments hostiles et la fureur d’Emilia révélant le timbre très particulier de la chanteuse, proche de la nasalité avec une prédominance de la voix mixte. Le deuxième air "A questo nuovo affano" extrait de l’opéra Eraclea est la plainte de Flavia, introduite par le violoncelle dans un ton mineur, avec de beaux sons en voix de tête, des sons droits aboutissant à des notes au vibrato très rapide dans une nuance piano maîtrisée. Le jeu scénique de Vivica Genaux amplifie la dramatisation du personnage. Vient ensuite "Esci Omai" extrait de l’opéra Mitridate Eupatore, une aria da capo avec instrument "obligato" (obligé, c'est-à-dire soliste et virtuose). Thibault Noally, premier violon et chef de l’ensemble assure cette partie avec brio et instaure un beau duo avec la mezzo-soprano dans lequel leur virtuosité époustouflante cisèle les traits de doubles croches de façon parfaite. Son émission devant, favorable à l’agilité, manque toutefois cruellement de rondeur et engendre une certaine agressivité, notamment dans le récitatif. Néanmoins, le da capo est soigné avec de belles vocalises dans le registre aigu.
Deux pièces instrumentales scindent les deux parties du programme permettant à la chanteuse de souffler mais aussi à l’orchestre de s’exprimer. Tout d’abord, une sonate à quatre d’Alessandro Scarlatti puis un concerto pour violon et cordes de Haendel. Le beau son équilibré, homogène de l’ensemble manque cependant des contrastes nécessaires à l’esprit baroque qu’un ajout d’instruments à vent aurait pu combler. S’en suivent deux autres airs de Scarlatti. La machine à vocalises se remet en marche pour le premier extrait de la Sérénade Partenope alors que le deuxième, "Stelle, se il vostro lume" de nouveau extrait de Mitridate est empli de mélancolie. L’air débute avec une première phrase a cappella, dévoilant une voix aux beaux aigus résonants. Pour terminer cette première partie, retour à Haendel et son opéra Rodrigo mais cette fois, dans le rôle féminin de Florinda. Les vocalises, qu’elle exécute sans respirer tant le souffle est long, traduisent l’agitation de la jeune femme réclamant vengeance, après avoir été bafouée par Rodrigo.
Vivica Genaux change de tenue pour la seconde partie, troquant la veste et le pantalon pour une robe estivale plus adaptée à la chaleur de la salle mais aussi pour exprimer la dualité de ses personnages, tantôt masculin, tantôt féminin. L’aria di tomba de Scarlatti "Cara tomba" toujours extrait de Mitridate, est d’une grande force expressive. De nombreux figuralismes y contribuent : des notes répétées des cordes figurant les pleurs du héros, des chromatismes dans la ligne vocale et des mots mis en valeur dans de lentes vocalises (« morire »). Le phrasé touchant est cependant entravé par des mouvements intempestifs de la mâchoire inférieure. Avec le rôle d’Agrippina (opéra de Haendel), elle révèle une autre facette de ses talents d’interprétation qui gagnerait à être mise en scène sans pupitre et partition. Usant de son charme et de son beau sourire, elle incarne bien le jeu perfide du personnage, variant son timbre et ses nuances sur « a te sara ». "Lascia la spina", plus connu dans la version opératique "Lascia ch’io pianga" dans Rinaldo, est un air extrait d’un oratorio écrit précédemment par Haendel. Dans cet air lent, son investissement est présent. Cependant, le manque d’homogénéité des voyelles empêche le legato. La course précipitée du temps qui s’envole et balaie tout sur son passage est de nouveau un prétexte à des vocalises de haute voltige qui font penser à certaines pages virtuoses de Vivaldi dans l’air "un pensiero nemico di pace" extrait de l’oratorio de Haendel Le Triomphe du Temps et de la Désillusion.
Le récital se termine par deux airs contrastés des deux génies qui suscitent une ovation de l'assistance. Dans un français impeccable, Vivica Genaux remercie son public de s’être déplacé malgré des problèmes de métro. Elle précise que ce n’est que la deuxième fois qu’elle interprète les airs de Scarlatti. Infatigable, en bis, elle livre l’un de ses airs de bravoure, "Come nave", d’un autre grand maître de l’opera seria italien, Johann Hasse, comme un véritable feu d’artifice !