Lamoureux Centenaire Debussy au TCE
Le programme s'ouvre par Nocturnes puis La Mer, créées par l'Orchestre Lamoureux en 1900 et 1904. Comme il est coutumier pour un hommage, la phalange semble s'incliner respectueusement sur la partition comme s'il s'agissait de la dépouille du maître : le jeu est délicat et précautionneux. Les timbres sont tous là, mais feutrés, pour quelques temps seulement. Une formidable énergie surgit en effet telle une houle : grâce en soit rendue à Michel Plasson, jeune et sémillant chef de 84 ans. Alors qu'il gravit avec peine son pupitre (soutenu par un musicien), il finit par littéralement surfer sur La Mer et même bondir ! Les cuivres et bois sont ainsi énergiques, tout en restant ouatés, en soutien de cordes dirigées d'un sourire ou d'une chatouille. Le souffle du public est suspendu à celui du cor anglais, caressant harpes et pizzicati. L'élan des fêtes amène un crescendo percussif animé (rappelant le Boléro de Ravel), avant que des sirènes n'accostent sur scène : femmes appartenant au Chœur Philharmonique du COGE (Chœurs et Orchestres des Grandes Écoles), en vocalises sans paroles, ondoyant sur les polyrythmies ternaires du ruisseau orchestral (hélas, force sera de constater que lorsque les hommes se joindront à leurs comparses pour former le chœur de l'œuvre suivante, L’Enfant prodigue, l'ensemble choral sera réduit à un rôle de figuration visuelle : les lèvres se mouvant sans qu'il soit possible d'en percevoir le moindre son).
L'Enfant prodigue (cantate couronnant la fin de l'apprentissage de Claude Debussy au Conservatoire par un Prix de Rome) est interprété par un trio de solistes qui n'ont rien de débutants. La soprano Annick Massis épanche tout le métier de sa voix ample et large, comme l'émotion de cette mère pleurant son fils. Le vibrato est extrêmement large, au point qu'il semble parfois enlever l'accroche vocale, mais la note conserve sa fréquence pivot. Toujours juste, la ligne est de surcroît parfaitement en rythme (malgré ou plutôt nonobstant cette largesse). Comme pour ses deux collègues solistes, l'absence de sur-titres touche ici à l'évidence tant la prononciation est modèle.
Le ténor Julien Dran compense un volume sonore mesuré et des aigus serrés par la douceur et la noblesse de son articulation, comme de son port (rehaussé par un costume et une coiffure impeccables). Dès lors, même ce léger chuintement sur les consonnes devient charmant (un peu british, ce qui aurait ravi l'anglophile Debussy). Les retrouvailles de son personnage avec sa mère ont toute l'émotion d'un duo d'amour bel cantiste, mais avec la splendeur de l'articulation musicale et linguistique française : "Par ton seul repentir, Enfant tu me désarmes," auquel le fils répond "Pour te bénir, ma vie, hélas! sera trop brève: Je m'humilie, à tes genoux."
Effectuer un remplacement ajoute toujours une dose de stress au nouvel interprète, dont il est attendu qu'il soit, autant que faire se peut, à la hauteur de l'artiste initialement prévu. Le baryton Pierre-Yves Pruvot relevait donc ce défi en remplacement d'Alexandre Duhamel (souffrant sans doute encore des conséquences de son allergie au maquillage qui l'avait gêné durant la Carmen de Montpellier). Pruvot réussit la gageure avec un éclat tonnant, dès sa première phrase ("Eh bien, encore des pleurs !"). Davantage encore, les auditeurs trouveront excellente (voire même démesurée) la prestation sonore du chanteur, appelé à se produire sur de très grandes scènes, s'il sait tenir en longueur et en durée un tel potentiel.
Le concert finit dans un triomphe d'applaudissements, en attendant certainement le prochain centenaire, puis le millénaire Debussy.