Spirituel Stabat Mater de Pergolèse au TCE, signé Fagioli, Lezhneva & Gabetta
Andres Gabetta dirige davantage sa Cappella comme un chef
d’attaque (en tête du pupitre des violons) que comme un chef au
sens habituel, ce qui suppose un travail préalable de grande qualité
et qui s’entend d’emblée dans le Concerto
pour cordes et basse continue (RV 156) d’Antonio Vivaldi
(1678-1741) qu’ils entonnent à peine installés. L’œuvre davantage expressive dans son second mouvement déploré permet à l’ensemble de montrer ses
qualités, une parfaite énergie transversale, une belle homogénéité,
une grande précision, un jeu sans afféteries, et un souci de
l’expressivité constant, avec des articulations huilées, de beaux
élans, une musique qui respire et va de l’avant.
Entre alors Julia Lezhneva, jeune soprano russe qui semble (dans le sillage de Bartoli et Kermes) creuser un sillon d’exploration de la virtuosité vocale dans ces musiques du 18ème siècle italien, et qui en retire un certain succès. Elle exécute un motet de Nicolò Porpora (1686-1768), In cælo stelle clare fulgescant (Que scintillent les étoiles lumineuses dans le ciel). Composé de deux arias da capo (forme ABA’, dans laquelle A’ est une reprise « ornée » de A) avec un récit qui les articule. C’est là aussi un œuvre assez typique de la vocalité de ce 18ème siècle (très mélodique, beaucoup de répétitions, de marches mélodiques et harmoniques), qui donne surtout à la chanteuse l’occasion de déployer une technique d’ornementation particulière. Dotée d’une jolie voix sonore, avec une grande précision de prononciation et un souci d’émission qui confine cependant parfois à une relative monochromie. Elle use fréquemment d’une manière de chanter « tremolante » avec la voix qui semble faire un sort « trillé » à chaque note. Parfois, elle utilise la voix droite (sans vibrato) qu’elle enfle en introduisant le vibrato. Cela apporte de l’énergie, mais au détriment du sentiment spirituel.
La Cappella Gabetta exécute ensuite une Sonate pour violon solo et orchestre (op. 1 n° 8) d'Angelo Ragazzi (1680-1750), avec une fois encore un second mouvement expressif (le violon, pourtant soliste, y « discutant » joliment avec le violoncelle).
Entre alors Franco Fagioli, le contre-ténor argentin que l’on ne présente plus, dans le premier “tube” de la soirée, le Nisi dominus (RV608) d’Antonio Vivaldi : psaume exaltant la présence divine comme seule apportant du sens à la vie des hommes. L’œuvre popularisée dans les années 80 par l’enregistrement de référence de James Bowman est exécutée et enregistrée fréquemment, en particulier par les contre-ténors. Franco Fagioli a une belle voix étendue, pas extrêmement puissante, mais sonore et expressive, avec une grande variété de couleurs et un engagement interprétatif indéniable. Il délivre une belle version de l’œuvre, avec un très beau Cum dederit (Quand il accorde le sommeil). Peut-être influencé par sa partenaire, il ajoute un peu plus d’ornements qu’à l’habitude. Les ornements en rhétorique (et dans l’usage maximal qu’en fait la musique depuis le 16ème siècle) sont licites quand ils apportent plus de poids et d’énergie au propos qui alors a plus d’impact. Ils doivent donc être pensés dans la perspective de renforcer le sens et donc ne pas être systématiquement les mêmes quel que soit le texte qui les sous-tend.
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Vient ensuite, après l’entracte, l’œuvre principale de la soirée, le Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), sur un poème du 13ème siècle décrivant de manière expressive la Vierge au calvaire devant le spectacle de son fils crucifié. L’œuvre connut un succès fulgurant qui ne se démentit pas tout au long du 18ème siècle et fut en particulier exécutée continûment (en un temps pourtant où il n’y a pas de « répertoire » et où la musique nouvelle est le régime « normal » de production musicale) au Concert Spirituel (dans les Jardins du Palais royal).
Remisant « l’ornementite » aiguë de la première partie, nos deux interprètes (sans y renoncer complètement) donnent un duo initial très touchant de ferveur. O quam tristis (Qu’elle était triste) tresse de beaux alliages de voix. Un très beau Fac ut ardeat (Fais que mon âme soit de feu), avec une expression extatique. Dans le Eja mater (Ô mère source de tendresse), particulièrement grave, le contre-ténor déploie toute sa science de l’émission (mixte, poitrine et tête) pour en donner une version très expressive. Le Quando corpus morietur (À l’heure où mon corps va mourir) est littéralement poignant, avec de beaux contrastes dynamiques.
Le Amen final, véritable feu d’artifice, un peu rapide néanmoins, conclut cette belle interprétation imagée du Stabat mater, lui conférant tout son poids spirituel au-delà des effets théâtraux utilisés. Les applaudissements nourris de l’assistance sanctionnent justement ce joli concert spirituel.