The King's Singers fêtent leurs 50 ans Salle Gaveau : so sweet & so british !
C’est dans la lignée des Comedian Harmonists (et autres ensembles vocaux masculins qui ont enchanté le début du 20ème siècle) et bien avant la mode des Boys bands des années 90 (qu’ils évoquent avec malice) que, au service d’un répertoire très éclectique allant des polyphonies savantes du 16ème aux Beatles, les King’s Singers sont apparus ! Au moment où l’Europe occidentale a connu les secousses d’un sursaut revendicatif, d’une remise en cause d’un ordre moral bourgeois devenu étouffant, en Mai 1968, à Cambridge, six étudiants en musique décident de fonder, non pas un groupe de jazz ou de rock, mais un ensemble vocal a capella. Tous issus du King’s College où ils avaient étudié la musique, c’est très naturellement qu’ils se sont eux-mêmes baptisés les King’s Singers.
Avec plus de trois mille titres en mémoire, l’ensemble se compose depuis sa création d’une basse, de deux barytons, d’un ténor et de deux contre-ténors. 26 chanteurs, en six configurations différentes, se sont succédé dans la formation pour aboutir à celle qui embarque actuellement dans une grande tournée internationale d’une année, destinée à célébrer partout où ils ont été reçus par le passé, le 50ème anniversaire des King’s Singers.
Patrick Dunachie (contre-ténor), Timothy Wayne-Wright (contre-ténor), Julian Gregory (ténor), Christopher Bruerton (baryton), Christopher Gabbitas (baryton) et la magnifique basse de Jonathan Howard régalent le public d’un florilège d’œuvres représentatives de leur répertoire. Avec des chants du 16ème siècle tout d’abord : de belles pièces comme « Revecy venir du printans » de Claude Lejeune, le très touchant « Lagrimas de mi Consuelo » de Juan Vàsquez, et surtout La Guerre de Clément Janequin (mettant en scène, au travers de figuralismes et d’onomatopées virtuoses, la bataille de Marignan), dont ils donnent une magistrale interprétation. Si la section musique romantique souffre un peu, ce n'est pas du fait de l'exécution talentueuse mais davantage des œuvres elles-mêmes (opus de circonstance composés par Saint-Saëns, Reger, Rheinberger), hormis peut-être la « Vineta » de Johannes Brahms. Une création contemporaine issue d’une commande à Tōru Takemitsu, sait enfin montrer combien ils ont à cœur de proposer un répertoire riche et curieux.
Ce qui est remarquable chez ces jeunes chanteurs repose sur un engagement artistique maximal, une maîtrise vocale de haut niveau (la basse par exemple a véritablement un niveau de soliste), une précision musicale et vocale totale. La prononciation est toujours soignée à la perfection, l’émission des voyelles conférant à l’alliage des voix à la fois une parfaite intonation musicale et, avec une harmonie limpide, une pâte sonore efficace, avec un bel éventail dynamique. Les maîtres mots de leur engagement esthétique sont la « variété » et la « fraîcheur », « l’anticonformisme et l’éclectisme » (des choix de répertoire), dans le souci de « partager » et de faire « savourer » à tous le patrimoine musical (écrit et populaire). C’est là une belle mission qu’ils se sont assignée et qu’ils remplissent avec ferveur et efficacité depuis donc cinquante ans. Dans ce souci de transmission, les œuvres sont présentées par tel ou tel des chanteurs, dans un français délicieux (l’effet Jane Birkin), avec un juste équilibre entre informations savantes et humour !
La formation vocale qui varie peu (quasi toujours en sextuor, rarement en quatuor) a certes pour effet de proposer une « couleur » un peu uniforme. Et quand les œuvres sont un peu moins riches, ou que les arrangements sont trop sages ou « sucrés » (ce qui fut le cas sur quelques chansons de variété, et notamment des Beatles), au-delà du plaisir de la beauté vocale, l’énergie manque alors un peu. Mais lorsque la musique est à la hauteur le talent conjugué de ces jeunes chanteurs produit de superbes effets, comme le véritable feu d’artifice de l’arrangement vocal sur l’ouverture du Guillaume Tell de Rossini, ou bien « On penny lane » également, sur le mode expressif de la nostalgie. La manière de chanter est assez sage et neutre en termes de visuel et de mise en scène, mais ils ne s’interdisent pas d’utiliser la voix pour imiter des instruments, avec alors une incarnation corporelle très convaincante, ainsi que des petits gestes et mimiques humoristiques parfaitement réglés et du meilleur effet.
Dans une seconde partie, ils offrent la surprise de convier à les rejoindre dix anciens membres de l’ensemble (issus de presque toutes les configurations historiques, incluant Alastair Hume, l’un des « fondateurs ») et offrent un choix de musiques plus populaires (Billy Joel, les Beatles notamment) à 12 puis à 16, avec pour le coup des effets de masse inouïs d’habitude.
Le public conquis et sans doute constitué en partie de fidèles réserve un accueil chaleureux et triomphal (parfaitement mérité) aux King’s Singers qui semblent bien avoir en réserve l’énergie d’un nouveau demi-siècle devant eux !